★ DICTATURE DU PROLÉTARIAT ET SOCIALISME D'ÉTAT

Publié le par Socialisme libertaire

Anarchie



" La dictature du prolétariat est une conception marxiste. 
Suivant Lénine « est seul marxiste celui qui étend la reconnaissance de la lutte de classe à la reconnaissance de la Dictature du prolétariat ». Lénine avait raison : la Dictature du prolétariat n'est, en effet, pour Marx que la conquête de l'État par le prolétariat qui, organisé en une classe politiquement dominante, arrive, au travers du Socialisme d'État, à la suppression de toutes les classes. 

Dans la « Critique du Programme de Gotha », écrite par Marx en 1875, on lit :

« Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de la première à la seconde. A cette période correspond une période de transition politique pendant laquelle l'État ne peut être autre chose que la dictature du prolétariat. »

Dans le « Manifeste Communiste » (1847), il disait déjà :

« Le premier pas dans la voie de la révolution ouvrière est l'élévation du prolétariat au rang de classe dominante... »
« Le prolétariat profitera de sa domination politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout le Capital, pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’État, c'est-à-dire dans les mains du prolétariat lui-même organisé comme classe dominante. »

Lénine, dans « l'État et la Révolution » ne fait que confirmer la thèse marxiste :

« Le prolétariat a besoin de l'État seulement pendant un certain temps. La suppression de l'État comme but final n'est pas ce qui nous sépare des anarchistes. Mais nous affirmons que pour atteindre ce but, il est indispensable d'utiliser temporairement contre les exploiteurs les instruments, les moyens et les procédés du pouvoir politique, de même qu'il est indispensable, pour supprimer les classes, d'instaurer la dictature temporaire de la classe opprimée. »

« L'État disparaît dans la mesure où il n'y a plus de capitalistes, où il n'y a plus de classes, et où il n'y a plus besoin, par conséquent, d'opprimer « aucune classe ». Mais l'État n'est pas mort complètement tant que survit le « droit bourgeois » qui consacre l'inégalité de fait. Pour que l'État meure complètement, il faut l'avènement du communisme intégral ».

L'État prolétarien est conçu comme une forme politique transitoire, destinée à détruire les classes. Une expropriation graduelle et l'idée d'un capitalisme d'État sont à la base de cette conception. Le programme économique de Lénine, à la veille de la révolution d'octobre se termine par cette phrase : « Le socialisme n'est autre chose qu'un monopole socialiste d'État. »

Suivant Lénine :

« La distinction entre les marxistes et les anarchistes consiste en ceci :

1) Les marxistes, bien que se proposant la destruction complète de l'État, ne la croient réalisable qu'après la destruction des classes par la révolution socialiste, et comme un résultat du triomphe du socialisme qui se terminera dans la destruction de l'État ; les anarchistes veulent la suppression complète de l'État, du jour au lendemain, sans comprendre quelles sont les conditions qui la rendent possible.

2) Les marxistes proclament la nécessité pour le prolétariat de s'emparer du pouvoir politique, de détruire entièrement la vieille machine d'État et de la remplacer par un nouvel appareil,
consistant dans l'organisation des ouvriers armés, sur le type de la Commune ; les anarchistes, en réclamant la destruction de la machine d'État, ne savent pas bien « par quoi » le prolétariat la remplacera, ni « quel usage » il fera du pouvoir révolutionnaire ; ils vont même jusqu'à condamner tout usage du pouvoir politique par le prolétariat révolutionnaire et repoussent la dictature révolutionnaire du prolétariat.

3) Les marxistes veulent préparer le prolétariat à la Révolution en utilisant l'Etat moderne : les anarchistes repoussent cette méthode.
»

Lénine déguisait les choses. Les marxistes « ne se proposent pas la destruction complète de l'État », mais ils prévoient la disparition naturelle de l'État comme conséquence de la destruction des classes au moyen de la « dictature du prolétariat », c'est-à-dire du Socialisme d'État, tandis que les anarchistes veulent la destruction des classes au moyen d'une révolution sociale, qui supprime, avec les classes, l'État. Les marxistes, en outre, ne proposent pas la conquête armée de la Commune par tout le prolétariat, mais ils proposent la conquête de l'État par le parti qu'ils supposent représenter le prolétariat. Les anarchistes admettent l'usage d'un pouvoir direct par le prolétariat, mais ils comprennent l'organe de ce pouvoir comme formé par l'ensemble des systèmes de gestion communiste - organisations corporatives, institutions communales, régionales et nationales - librement constitués en dehors et à l'encontre de tout monopole politique de parti, et s'efforçant de réduire au minimum la centralisation administrative. Lénine, dans des buts de polémique, simplifie arbitrairement les données de la différence qui existe entre les marxistes et nous.

La formule léniniste : « Les marxistes veulent préparer le prolétariat à la Révolution en utilisant l'appareil d'État moderne » est à la base du jacobinisme léniniste comme elle est à la base du parlementarisme et du ministérialisme social-réformiste.

Aux Congrès socialistes internationaux de Londres (1896) et de Paris (1900), il fut établi que pouvaient adhérer à l'Internationale Socialiste seulement les partis et les organisations ouvrières qui reconnaissaient le principe de la « conquête socialiste des pouvoirs publics par la fraction du prolétariat organisée en parti de classe ». La scission se produisit sur ce point, mais effectivement l'exclusion des anarchistes de l'Internationale n'était que le triomphe du ministérialisme, de l'opportunisme, du « crétinisme parlementaire ».

Les syndicalistes anti-parlementaires et quelques fractions communistes se réclamant du marxisme, repoussent la conquête socialiste pré-révolutionnaire ou révolutionnaire des pouvoirs publics.

Qui jette un regard en arrière sur l'histoire du socialisme après l'exclusion des anarchistes ne peut que constater la dégénérescence graduelle du marxisme comme philosophie politique, au travers, des interprétations et de la pratique social-démocrates.

Le léninisme constitue, sans aucun doute, un retour à l'esprit révolutionnaire du marxisme, mais il constitue aussi un retour aux sophismes et aux abstractions de la métaphysique marxiste. "

Camillo Berneri

(Article paru dans « Guerra di Classe » n° 4 du 5 novembre 1936)
 

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