Pour une histoire de la résistance ouvrière au travail

Pour une histoire de la résistance ouvrière au travail.
Paris et Barcelone pendant le Front populaire français et la révolution espagnole,
1936-1938.
I. Barcelone
L’étude de la résistance ouvrière au travail - l’absentéisme, les retards, les simulations de maladie, les vols, le sabotage, les ralentissements du travail, l’indiscipline et l’indifférence - permet de mieux comprendre deux événements politiques contemporains : la révolution espagnole et le Front populaire français. Un examen attentif de la résistance au travail dans les usines de Paris et de Barcelone sous les gouvernements de Front populaire en France et tout au long de la révolution en Espagne fait apparaître dans la vie de la classe ouvrière des constantes essentielles. L’absentéisme, l’indiscipline, et autres manifestations d’une aversion pour le travail préexistaient à la victoire du Front populaire en France et à l’éclatement de la guerre et de la révolution en Espagne, mais il est intéressant de noter que cette résistance persista après la prise du pouvoir politique et, à des niveaux différents, du pouvoir économique, dans ces deux pays, par les partis et les syndicats qui prétendaient représenter la classe ouvrière. En effet, tant dans la situation révolutionnaire que dans la situation réformiste, les partis et syndicats de gauche furent contraints de faire face à d’innombrables refus des ouvriers à travailler.
La résistance ouvrière au travail au xxe siècle a été largement ignorée ou sous-estimée par les historiens marxistes du travail et les théoriciens de la modernisation - deux écoles de l’historiographie du travail importantes, sinon dominantes [1]. Quoique opposées sur bon nombre de questions, toutes deux partagent une vision progressiste de l’histoire. La plupart des marxistes considèrent la classe ouvrière comme acquérant graduellement une conscience de classe, allant de l’an sich (en soi) au für sich (pour soi), se constituant en classe pour soi et ayant pour but final d’exproprier les moyens de production ; les théoriciens de la modernisation, eux, envisagent les travailleurs dans leur adaptation au rythme, à l’organisation et aux exigences générales de la société industrielle. Ni les marxistes ni les théoriciens de la modernisation n’ont suffisamment pris en compte les constantes de la culture de la classe ouvrière que révèle sa résistance opiniâtre au travail. En fait, ces conceptions progressistes de l’histoire de la classe ouvrière sont incapables d’appréhender correctement la permanence de l’absentéisme, du sabotage et de l’indifférence. Il n’est pas possible non plus de rejeter la résistance ouvrière au travail dans les deux situations, l’une révolutionnaire, l’autre réformiste, du second tiers du xxe siècle en la traitant de « primitive » ou d’exemple de « fausse conscience ». La persistance de multiples formes de refus du travail est certainement l’indice d’une réponse compréhensible aux difficultés sans fin de la vie quotidienne des ouvriers, et d’un sain scepticisme vis-à-vis des solutions proposées tant par la gauche que par la droite.
La première partie de cet essai examinera la situation révolutionnaire à Barcelone. Elle cherchera à mettre en évidence les divergences de consciences de classe entre les ouvriers militants de gauche, voués corps et âme au développement des forces productives pendant la révolution espagnole, et le bien plus grand nombre de ceux non-militants qui continuèrent à résister au travail, souvent tout comme ils le faisaient auparavant. Différentes consciences de classe s’affrontèrent ainsi durant la révolution espagnole. Mon propos n’est pas de définir quelle fut la forme de conscience de classe « la plus juste », mais de montrer comment la persistance de la résistance au travail a sapé les desseins révolutionnaires des militants et remis en question leur prétention à représenter la classe ouvrière.
La seconde partie de cet article tentera de démontrer l’importance de la résistance au travail pendant le Front populaire à Paris. De même qu’en Espagne, le refus du travail était profondément enraciné dans la culture de la classe ouvrière française et devait persister, et même s’étendre, indépendamment des importantes réformes sociales mises en œuvre par la coalition des partis et syndicats de gauche qui composaient le Front populaire. Tout comme, à Barcelone, les membres des syndicats et des partis qui appelaient de leurs vœux une production et une productivité accrues dans le but de mettre fin à la stagnation économique, échouèrent à cause du refus d’un grand nombre d’ouvriers de travailler avec zèle. Ici encore, des consciences de classe de formes différentes entrèrent en conflit, et la tentative réformiste du Front populaire, à l’instar de la révolution espagnole, en fut désunie et affaiblie.
En Espagne, la résistance ouvrière au travail a, bien sûr, une longue histoire qui date d’avant la guerre civile et la révolution. Au XIXe siècle, les ouvriers catalans, comme les ouvriers français, étaient attachés à la tradition du dilluns sant (Saint-Lundi), un jour de congé officieux pris sans autorisation par beaucoup de travailleurs en prolongement de la trêve dominicale. Les conflits sur l’horaire de travail se poursuivirent au xxe siècle, y compris sous la seconde République. En 1932, par exemple, les ouvriers manifestèrent leur volonté de ne pas travailler le lundi 2 mai, parce que le 1er mai était tombé un dimanche. Plus important, il y avait une lutte incessante autour de la « récupération » des jours fériés de milieu de semaine, qui étaient souvent des jours de fête traditionnels ; les ouvriers catalans, en grande majorité déchristianisés et anticléricaux, persistaient à les célébrer. En 1927, l’association patronale (Fomento del Trabajo Nacional), sise à Barcelone, notait qu’en dépit de la loi les patrons qui tentaient de forcer leurs employés à récupérer les jours fériés autres que le dimanche pouvaient s’attendre à des troubles [i]. Effectivement, il y eut au printemps et à l’été 1927, durant plusieurs jours, des grèves pour protester contre un projet de faire des jours de fête des jours ouvrés. En 1929, les ouvriers se battaient à nouveau pour conserver leurs congés traditionnels. Le conflit fut particulièrement dur dans la province de Barcelone, car « la pression de la classe ouvrière a empêché la récupération des jours fériés tombant en semaine, ainsi que l’autorise la loi » [2]. Les « tensions sociales » rendaient impossible toute récupération des jours fériés à Barcelone.
Les ouvriers barcelonais bataillèrent ferme pour une semaine de travail plus courte ; cette question fut au cœur d’une multitude de grèves durant la seconde République. A la fin de 1932 et au début de 1933, les menuisiers firent grève pendant trois mois pour la semaine de 44 heures. En 1933, les ouvriers de la construction de la CNT (Confederación Nacional del Trabajo) se mirent en grève pendant plus de trois mois pour la semaine de 40 heures, et à la fin août, ils obtenaient une semaine de 44 heures au lieu des 48 heures qu’ils devaient faire auparavant. En octobre 1933, les ouvriers de l’eau, du gaz et de l’électricité de la CNT et de l’UGT (Unión General de Trabajadores) obtenaient, sans la moindre grève, la semaine de 44 heures [3]. Lorsque la semaine de travail de 48 heures fut rétablie en novembre 1934, plusieurs grèves éclatèrent et les ouvriers quittaient les usines après n’avoir travaillé que 44 heures.
La résistance ouvrière au travail pendant la seconde République n’empruntait pas uniquement les formes collectives que sont les débrayages et les grèves, mais aussi celles d’actions individuelles telles que par exemple l’absentéisme, la simulation de maladies et l’indifférence. En 1932, les industriels du textile accusaient leurs propres contremaîtres d’absences non autorisées [4]. Le fleuron de l’industrie de la construction mécanique, la Maquinista Terrestre y Marítima, signalait que lors de la construction d’un pont à Séville, les ouvriers se rendaient eux-mêmes malades en se coupant intentionnellement afin de tirer avantage des indemnités maladie ; ce qui, par contrecoup, provoqua l’exclusion de la Maquinista de sa compagnie d’assurance. D’une manière générale, les employeurs catalans étaient opposés à un programme d’assurance accident et d’indemnisations imposé par le gouvernement, parce qu’ils craignaient que ce programme n’incite les ouvriers à faire traîner leurs maladies. Leur argument était que l’expérience des compagnies d’assurance confirmait l’étendue de la fraude dans les déclarations de maladie, sans compter les automutilations [5]. La ressemblance est frappante avec l’affirmation des industriels catalans, au temps du bienio negro [6] (1934-1935), années où la droite était au pouvoir, que les ouvriers faisaient souvent montre d’« un désir minimal de travailler ». Au cours de ces années 1930, les employeurs repoussèrent les demandes continuelles de la CNT et de l’UGT de supprimer le travail aux pièces.
Les militants anarcho-syndicalistes de la CNT le supprimèrent dans leurs collectivités quand la révolution éclata en réponse au pronunciamiento, mais presque immédiatement, les militants anarcho-syndicalistes et marxistes, qui avaient pris le contrôle des usines, furent amenés à réagir contre la résistance des ouvriers. Après la défaite de la révolte des généraux du 18 juillet 1936, dans les premiers jours de la révolution, la CNT adjurait plusieurs fois les ouvriers de se remettre à l’ouvrage. Le 26 juillet, un communiqué dans le journal de la CNT, Solidaridad Obrera, demandait que les chauffeurs de bus justifient de leur absence au travail. Le 28 juillet, un autre article ordonnait vigoureusement à tous les ouvriers d’Hispano-Olivetti de retourner à leur poste et menaçait de sanctions ceux qui ne viendraient pas travailler sans raison valable. Quoique le 30 juillet, le même journal eût déclaré que le travail avait repris dans la plupart des entreprises de Barcelone, le 4 août, il lançait encore un appel à l’« autodiscipline ». Le lendemain, le syndicat des coiffeurs portait « à la connaissance de ses adhérents qu’ils avaient l’obligation » de travailler 40 heures par semaine et faisait savoir qu’il ne tolérerait pas une réduction de la journée de travail.
Cette aversion pour le travail posa, dès le début de la révolution, un problème aux militants syndicalistes qui géraient les usines et ateliers à Barcelone, et il leur fallut bien s’en occuper. Incontestablement, cette résistance au travail contredisait la théorie anarcho-syndicaliste de l’autogestion qui appelait les ouvriers à s’impliquer activement, et à contrôler leur lieu de travail, avec l’avènement de la révolution. Autrement dit, les activistes anarcho-syndicalistes et marxistes demandaient aux travailleurs de Barcelone d’assumer avec entrain leur rôle d’ouvriers. Mais ces derniers ne cédaient pas aux exigences des militants syndicaux, qui se plaignaient entre autres du manque de participation aux assemblées d’usine et du non-paiement des cotisations syndicales, et déploraient que la seule façon de faire assister les ouvriers aux assemblées étaient de tenir celles-ci pendant les heures de travail, donc au détriment de la production. C’est ainsi, par exemple, que la collectivité Construcciones Mecánicas modifia ses projets de convoquer les assemblées le dimanche, étant donné que « personne n’y viendrait », et choisit le jeudi à la place [7]. Dans Barcelone révolutionnaire, les ouvriers se montraient parfois hostiles à participer à la démocratie ouvrière.
Selon les propres chiffres de la CNT (à utiliser avec prudence), elle ne représentait en mai 1936 que 30 % des ouvriers industriels catalans (en baisse par rapport aux 60 % de 1931). Par conséquent, les « dizaines de milliers » d’ouvriers censés avoir peu de « conscience de classe » entraient dans les syndicats pour y trouver une protection sociale et un emploi stable [8]. H. Rüdiger, un délégué de l’AIT (Association internationale des travailleurs) à Barcelone, écrivait, en juin 1937, qu’avant la révolution la CNT comptait seulement de 150 000 à 175 000 membres en Catalogne. Dans le mois qui suivit l’éclatement de la guerre civile, le nombre d’adhérents catalans à la CNT atteignit d’un bond quasiment le million. Rüdiger en concluait : Les quatre cinquièmes sont donc des nouveaux venus. Une grande partie d’entre eux ne peuvent pas être comptés comme des révolutionnaires. Je pourrais vous citer n’importe quel syndicat en exemple. Beaucoup de ces nouveaux membres pourraient tout aussi bien être à l’UGT [9].
Les militants syndicalistes s’efforçaient d’exaucer certaines attentes de leur base. Comme on l’a vu, le syndicat CNT de l’industrie textile et vestimentaire satisfit, au commencement de la révolution, à une revendication qu’il avançait depuis des années en supprimant les incitations à la production, en particulier le travail aux pièces, selon lui « cause principale des conditions misérables » des ouvriers. Néanmoins, à cause de la faible productivité et de l’indifférence des ouvriers, la suppression du travail aux pièces devint rapidement l’objet des attaques du syndicat lui-même : Dans les branches industrielles regroupées dans notre syndicat [CNT], et où prévalait en grande partie avant le 19 juillet le travail aux pièces, la production a largement décliné maintenant qu’il y a un salaire hebdomadaire fixe (…). Avec tout cela, nous ne pouvons pas donner à notre économie une base ferme, c’est pourquoi nous espérons que tous les travailleurs (…) feront extrêmement attention à tirer le meilleur parti des outils de travail et des matières premières, et qu’ils fourniront le rendement maximum [10].
Les problèmes au sujet du travail aux pièces ont perduré dans l’industrie de l’habillement tout au long de la révolution. La collectivité de la confection F. Vehils Vidals, avec plus de 450 ouvriers, qui fabriquait et vendait des chemises et des lainages, imposa, dès février 1937, un système élaboré de primes pour stimuler son personnel. En 1938, le travail aux pièces fut réintroduit dans les ateliers de fabrication de chaussures récemment regroupés, et un cordonnier, membre du syndicat CNT du textile, protesta contre cette réintroduction en menaçant d’arrêter le travail. En mai 1938, les ouvriers des chemins de fer de Barcelone se virent notifier le rétablissement quasi total du travail aux pièces :
Il faut obéir aux ordres des chefs et les exécuter.
Lors de la fixation des tarifs, il faudra partir du principe qu’ils soient équitables (…) [et] permettent d’obtenir un salaire aux pièces raisonnable. N’oublions pas la règle de base qui est de travailler en commun et de ne pas chercher à tricher entre nous ni avec son chef. Un compte rendu détaillé du travail accompli (…) devra être présenté tous les mois à la date qui conviendra dans chaque secteur, accompagné d’un rapport succinct sur les résultats obtenus et les comparant avec ceux des mois précédents, justifiant les rendements et les variations observées dans le travail [11].
En août 1937, le Conseil technico-administratif du syndicat CNT du bâtiment proposait une révision des théories anarcho-syndicalistes sur les salaires. Pour le Conseil, le dilemme était le suivant : ou bien il restaurait la discipline du travail et abolissait le salaire unique, ou il courait au désastre. Le Conseil constatait des « influences bourgeoises » au sein de la classe ouvrière et appelait à rétablir les gratifications pour les techniciens et l’encadrement. Il recommandait en outre de ne se charger que des « tâches rentables » ; il fallait contrôler le travail, les « masses devaient être rééduquées moralement », et l’ouvrage rémunéré en fonction de l’effort et de la qualité. En juillet 1937, une déclaration commune de la Agrupación Colectiva de la Construcción CNT-UGT de Barcelone admettait que la paye devait dépendre de la production. Les spécialistes de chaque section fixeraient une « échelle de rendement minimum » :
Tout camarade qui ne réalisera pas ce minimum déterminé par la section à laquelle il appartient sera sanctionné, et pourra même être exclu s’il récidive.
Le rapport CNT-UGT recommandait l’affichage de courbes de rendement, en plus des textes de propagande, afin de stimuler le moral et d’accroître la productivité ; tout en soulignant que les ouvriers de la construction faisaient souvent traîner les choses de crainte de se retrouver au chômage une fois un chantier fini. Tant en public qu’en privé, les marxistes de l’UGT préconisaient que le salaire soit lié au rendement et que des sanctions soient imposées aux contrevenants. Le 1er février 1938, l’UGT disait à ces membres de taire toute revendication en ces temps de guerre, et les exhortait à travailler plus. Néanmoins, le syndicat UGT des maçons signalait le 20 novembre 1937 qu’un conflit salarial dans la Agrupación Colectiva avait entraîné des arrêts de travail, et même des actes de sabotage. Il notait aussi que certains ouvriers ne voulaient pas travailler parce qu’ils ne recevaient pas 100 pesetas par semaine, et qualifiait l’attitude de ces ouvriers de « désastreuse et hors de propos en ce moment » [12]. Le 15 décembre 1937, il informait que les ouvriers les moins payés exigeaient une égalisation des salaires et qu’il était en pourparlers avec la CNT en vue de fixer des normes de production minima. En janvier 1938, le syndicat UGT du bâtiment faisait savoir dans un rapport que le président de la Agrupación Colectiva de la Construcción CNT voulait conditionner une proposition d’augmentation de salaire à une amélioration de la discipline chez les ouvriers.
Confrontés à de nombreuses revendications salariales, les syndicats adoptèrent des tactiques différentes pour accroître la productivité et cherchèrent à assujettir la paye à la production. Lorsqu’on augmentait les salaires dans des entreprises collectivisées ou contrôlées par les syndicats, on exigeait dans le même temps une augmentation correspondante du rendement. En juillet 1937, le syndicat CNT des ouvriers du plomb demandait que les salaires fussent liés à la production. Le 11 janvier 1938, le syndicat CNT de la construction métallique déclarait que les augmentations de salaire devaient s’accompagner d’un allongement de l’horaire de travail. La petite entreprise de fabrication de vêtements J. Lanau, avec ses trente ouvriers, se trouvait elle aussi dans une situation analogue. Selon un rapport de son comptable de novembre 1937, le personnel, en majorité féminin, était assuré pour les accidents, les maladies et les grossesses. Les ouvrières, écrivait-il, entretenaient de bonnes relations avec le propriétaire et disposaient d’un comité de contrôle composé de deux représentants de la CNT et d’un de l’UGT. Néanmoins, la production avait baissé de 20 %, et le comptable recommandait, pour régler ce problème, d’établir des « quotas de production bien définis » à l’atelier et dans les ventes.
Conflits salariaux et litiges sur le travail aux pièces étaient loin d’être les seules manifestations du mécontentement ouvrier ; les syndicats, tout comme les employeurs avant la révolution, durent aussi faire face à de gros problèmes concernant les horaires de travail. Pendant la révolution, la classe ouvrière catalane, en grande majorité indifférente en matière de religion, continuait à respecter les jours de congés religieux traditionnels qui tombaient en milieu de semaine. La presse anarcho-syndicaliste et communiste critiquait souvent la défense indéfectible de ces traditions par les ouvriers, dont il semblait, comme on l’a vu, qu’elles étaient profondément enracinées dans la culture de la classe ouvrière espagnole. En décembre 1936, Síntesis, la publication de la collectivité CNT-UGT Cros, et en janvier 1938, Solidaridad Obrera, faisaient savoir que les congés religieux traditionnels ne pouvaient pas servir d’excuse pour ne pas se présenter au travail. En fait, l’observance des congés religieux tombant un jour ouvré (aucun observateur n’a jamais noté une participation importante des ouvriers de Barcelone aux messes dominicales), parallèlement à l’absentéisme et aux retards, exprimait un désir constant d’échapper à l’usine, qu’elle fût rationalisée ou démocratique.
Les luttes à propos de l’horaire de travail et des congés n’étaient pas rares. En novembre 1937, un certain nombre de cheminots refusèrent de travailler les samedis après-midi et s’attirèrent un blâme de l’UGT pour indiscipline. Le Comité central de contrôle ouvrier du gaz et de l’électricité réclama la liste de ceux qui avaient quitté leur poste le jour du nouvel an 1937 afin que des sanctions puissent être prises à leur encontre [13]. Le 4 octobre 1937, lors d’une réunion extraordinaire du Conseil général du gaz et de l’électricité, des représentants de la CNT reconnurent que certains de ses membres ne respectaient pas l’horaire de travail ; alors qu’un délégué UGT lui demandait si la Confédération était en mesure de l’imposer, l’un des représentants de la CNT répondait :
J’ai bien peur que non. Ils [les ouvriers réfractaires] se comporteront toujours de la même façon, et ne voudront jamais transiger (…). C’est inutile d’essayer de faire quelque chose alors qu’ils ont montré qu’ils se fichaient des accords et des instructions émanant du comité du bâtiment, des commissions de section, etc. Ils n’y accordent aucune attention, que les ordres viennent d’un syndicat [anarcho-syndicaliste] ou de l’autre [marxiste].
Dans de nombreuses branches d’industrie les camarades étaient souvent « malades ». En février 1937, le syndicat CNT de la métallurgie déclarait sans ambages que certains ouvriers abusaient des accidents du travail. En décembre 1936, un militant important du syndicat des ouvriers du plomb se plaignait des « irrégularités commises dans quasiment tous les ateliers par rapport aux maladies et aux horaires [de travail] ». En janvier 1937, un autre ouvrier du plomb notait « du relâchement » dans plusieurs ateliers :
Il y a beaucoup d’ouvriers qui s’absentent une journée ou une demi-journée par convenance personnelle, et non parce qu’ils sont malades [14].
La commission technique CNT des maçons attira l’attention sur le cas d’un ouvrier qui, ayant un certificat médical d’« épileptique », fut surpris en train de jardiner lors d’une visite des membres de la commission [15].
On signalait des vols dans les ateliers et les collectivités. Le syndicat CNT des métaux non ferreux affirma qu’un camarade travaillant dans une usine contrôlée par la CNT avait emporté des outils lors de son départ à l’armée. En décembre 1936, la section des mécaniciens de la fameuse colonne Durruti avisait le syndicat CNT de la métallurgie qu’un camarade était parti avec des outils « sans doute sans y prêter attention », et demandait que le syndicat lui fasse restituer l’outillage manquant le plus rapidement possible. Le syndicat CNT des cordonniers fit lui aussi état de vols. Et certains militants et officiels des collectivités furent même accusés de détournements et d’abus de fonds [16].
Confrontés au sabotage, au vol, à l’absentéisme, aux retards, aux maladies simulées et autres formes de résistance de la classe ouvrière au travail et au lieu de travail, les syndicats et les collectivités coopérèrent pour établir des règles et règlements stricts équivalents aux contrôles des entreprises capitalistes, ou les surpassant. Le 18 juin 1938, les délégués CNT et UGT de la collectivité Gonzalo Coprons y Prat, qui fabriquait des uniformes militaires, faisaient part d’un sérieux déclin de la production pour lequel il n’y avait pas d’« explication satisfaisante ». Les délégués des deux syndicats appelaient au respect des quotas de production et de l’horaire de travail, à un contrôle rigoureux des absences, et au « renforcement de l’autorité morale des techniciens » [17]. La collectivité de la confection F. Vehils Vidals, qui avait mis en place un système complexe de stimulants pour ses 450 ouvriers, approuvait le 5 mars 1938, lors d’une assemblée générale, un ensemble de règles assez sévères [18] : on nomma un ouvrier pour contrôler les retards et un trop grand nombre d’arrivées après l’heure entraînait une exclusion ; les camarades malades recevaient la visite d’un délégué du conseil de la collectivité, et s’ils n’étaient pas chez eux, ils étaient mis à l’amende ; il était interdit de quitter la collectivité durant les heures de travail, et toute tâche effectuée à l’intérieur de la collectivité devait l’être dans l’intérêt de celle-ci, autrement dit, les projets personnels étaient bannis ; les camarades quittant les ateliers avec des paquets étaient obligés de les présenter aux gardes chargés de la surveillance ; si un ouvrier était témoin d’un vol, d’une fraude ou de tout autre acte malhonnête, il devait le signaler ou sinon en être tenu pour coresponsable ; les techniciens étaient priés de faire un rapport hebdomadaire sur ce qui avait été réalisé ou non dans leurs sections ; enfin, on ne tolérerait pas que les camarades perturbent l’« ordre au sein de l’usine ni au-dehors », et tout ouvrier qui n’assistait pas aux assemblées devait payer une amende.
D’autres collectivités de l’industrie vestimentaire publièrent un ensemble de règles similaires. En février 1938, le conseil CNT-UGT de Pantaleoni Germans instaurait un horaire de travail intensif et des pénalités pour les retards. On nomma un camarade afin de contrôler les entrées et les sorties. Il fallait accepter les tâches imparties et les instructions « sans discuter » et les exécuter en temps voulu. Tout déplacement à l’intérieur de l’usine était soumis à l’autorisation du chef de section, et un déplacement non autorisé avait pour conséquence une mise à pied et une retenue de salaire pouvant aller de trois à huit jours. Aucun outil ne devait sortir de la collectivité sans autorisation et une période probatoire d’un mois fut instituée pour tous les ouvriers. Le comité de contrôle CNT-UGT de l’entreprise Rabat prévint que tout camarade absent au travail, alors qu’il n’était pas malade, se verrait supprimer sa paye. Les ouvriers de cette entreprise, en majorité des femmes, furent avisés que l’indiscipline entraînait la perte de son travail, dans une industrie, rappelons-le, où le taux de chômage était élevé. Tous les travailleurs de Rabat étaient tenus d’assister aux assemblées sous peine d’amendes. Seules les conversations ayant trait au travail étaient admises durant les heures de travail. D’autres collectivités, telles qu’Artgust qui avait demandé sans succès aux ouvriers d’augmenter la production, imposaient à leur tour des règles proscrivant les conversations, les retards, et même de recevoir des coups de téléphone. En août 1938, en présence de représentants de la CNT, de l’UGT et de la Generalitat de Catalogne, l’assemblée ouvrière de la Casa A. Lanau prohibait les retards, les maladies simulées, et le fait de chanter durant le travail. Les Magetzems Santeulàlia inspectaient tous les paquets qui entraient et sortaient de leur usine. Les syndicats CNT et UGT de Badalona, un faubourg industriel de Barcelone, mettaient sur pied un contrôle des malades et convenaient que les ouvriers devaient justifier de leurs absencesqui, se plaignaient-ils, étaient « incompréhensibles » et « abusives », puisque la semaine de travail avait été réduite à 24 heures (19).
Il semblerait que la sévérité de ces règles et règlements ait été une conséquence de la dégradation de la production et de la discipline dans de nombreuses entreprises textileset vestimentaires. Le 15 juin 1937, le comptable de la Casa Mallafré CNT-UGT fit un rapport sur les ateliers de confection. Selon lui, en conclusion, l’administration de la collectivité était intègre et irréprochable, mais « la partie la plus délicate du problème » restait la production, or « dans la production résid[ait] le secret de l’échec ou du succès industriel et commercial ». Si le rendement des ateliers se maintenait aux niveaux extrêmement bas d’aujourd’hui, prévenait-il, l’entreprise - qu’elle fût collectivisée, sous contrôle syndical ou bien socialisée - ferait faillite. La production actuelle ne couvrait même pas les dépenses hebdomadaires, et il fallait absolument accroître le rendement si l’entreprise voulait survivre. Une autre collectivité vestimentaire CNT-UGT, Artgust, écrivait le 9 février 1938 : « En dépit de nos appels incessants au personnel de l’usine, nous n’avons pas réussi jusqu’à maintenant à améliorer le rendement » (20), et demandait conseil à la CNT et à l’UGT au sujet de la disproportion entre les coûts élevés et la faible productivité.
Dans plusieurs collectivités des ouvriers furent licenciés ou mis à pied. On demanda à un camarade d’un atelier CNT de cordonnerie de partir à cause de sa faible productivité. Un tailleur mécontent, qui avait demandé à être muté dans un autre atelier, agressa physiquement un collègue, insulta le conseil d’usine, et menaça le directeur et un technicien. Il fut mis à pied en juin 1938 (21). Une militante de Mujeres Libres, le groupe de femmes de la CNT, fut accusée d’immoralité, d’absences injustifiées, et subit même un simulacre de procès de la part de ses camarades, qui réclamèrent des mesures disciplinaires à son encontre. Cette accusation d’« immoralité » n’était pas exceptionnelle pendant la révolution espagnole ; elle révèle que les militants syndicalistes considéraient l’incompétence ou le manque de résultats dans le travail « immoraux », quand ce n’était pas carrément criminels. Ils jugeaient aussi avec réprobation les activités sans rapport direct avec la production. Les militants de la CNT voulaient en finir avec l’« immoralité » en fermant dès 22 heures les lieux de divertissement tels que bars, salles de concerts et bals (22). On parlait de réformer les prostituées par la thérapie du travail, et d’éliminer la prostitution comme elle l’avait été en Union soviétique. Il fallait remettre aux lendemains de la révolution les relations sexuelles et le désir d’avoir des enfants (23).
Les syndicats de la métallurgie CNT et UGT cherchèrent à se rendre maîtres de l’indiscipline signalée dans de nombreuses collectivités. En 1938, un ouvrier fut exclu d’une collectivité, lui aussi pour « immoralité », c’est-à-dire pour n’être pas venu travailler sans justification. Une autre collectivité exprimait le désir de licencier une femme « inconsciente » qui avait à plusieurs reprises donné de fausses excuses pour ses absences (24). En août 1936, le syndicat CNT de la métallurgie avertissait les camarades qui ne s’acquittaient pas des tâches qui leur étaient assignées qu’ils seraient remplacés « sans aucune considération ». Comme dans le textile, la plupart des collectivités de la métallurgie publièrent des règles de contrôle des arrêts maladie :
Le conseil se voit obligé de faire vérifier les absences pour maladie par un ou une camarade que tous et toutes les camarades de l’usine devront laisser entrer chez eux… L’inspection pourra avoir lieu autant de fois par jour que le conseil le jugera utile (25).
La Collectivité des ascenseurs et applications industrielles (Ascensores y Aplicaciones Industriales) annonça que toute tentative de fraude concernant les arrêts maladie serait punie d’exclusion. L’assemblée de l’entreprise Masriera i Carreras, où l’UGT était majoritaire, notait le 1er septembre 1938 que « certains camarades avaient l’habitude de commencer le travail avec quinze minutes de retard tous les jours » et adoptait à l’unanimité de retenir une demi-heure de paye pour toute absence de cinq minutes. En janvier 1937, le syndicat des ouvriers du plomb faisait savoir que si un travailleur entrait à l’usine avec une demi-heure de retard, il perdrait une demi-journée de salaire. En juillet 1937, la collectivité Construcciones Mecánicas instaurait une pénalité équivalant à une perte d’un quart d’heure de paye pour s’être lavé les mains ou changé avant la fin de la journée de travail.
Les problèmes étaient les mêmes dans le service public. Le 3 septembre 1937, le Conseil général des industries de l’électricité et du gaz constatait une « baisse de rendement » et déclarait que son devoir était de défendre l’intérêt commun contre une minorité qui manquait de « moralité ». Les ouvriers qui arriveraient en retard ou seraient absents de manière répétée seraient mis à pied ou licenciés. Il était expressément interdit aux travailleurs de se réunir pendant les heures de travail, et le Conseil informait qu’il prendrait des mesures disciplinaires toutes les fois que ce serait nécessaire. En janvier 1938, lors de sa session économique, la CNT définissait « les droits et les devoirs du producteur » :
Il y aura dans chaque secteur professionnel quelqu’un chargé de répartir les tâches, qui sera officiellement responsable (…) pour la quantité et la qualité du travail et le comportement des ouvriers.
Ce répartiteur des tâches était habilité à renvoyer un ouvrier pour « paresse ou immoralité » ; et d’autres officiels étaient là pour vérifier si des accidents mineurs du travail d’« origine suspecte » étaient fondés ou « douteux » : Tous les ouvriers et employés auront un dossier où seront consignés les détails de leur personnalité professionnelle et sociale [19].
Les syndicats combinaient ces règles et règlements répressifs avec de vastes campagnes de propagande afin d’amener la base ouvrière, par la persuasion ou la contrainte, à travailler plus énergiquement. Cette propagande révélait l’ampleur du bas niveau de la productivité et de l’indiscipline. La collectivité Vehils Vidals lançait à tous vents des appels à l’« amour du travail, [au] sacrifice et [à] la discipline ». La collectivité CNT-UGT Pantaleoni Germans voulait que son personnel « se consacre à son travail ». Les fabricants de chaussures exigeaient « moralité, discipline et sacrifice » [20]. En avril 1937, la revue de la grande entreprise textile Fabra i Coats conjurait sur une pleine page ses ouvriers de « travailler, travailler et travailler » [21]. La CNT mettait fréquemment en garde ses militants de base de ne pas confondre liberté et laxisme, et déclarait que ceux qui ne travaillaient pas d’arrache-pied étaient des fascistes [22]. Pour la Confédération, les ouvriers, parce qu’ils ne travaillaient pas autant qu’ils le devraient, possédaient souvent une « mentalité bourgeoise ». D’après elle, les ouvriers avaient le choix entre des avantages immédiats ou de réelles améliorations dans le futur. L’heure était à l’« autodiscipline ».
En février 1937, la collectivité CNT-UGT Marathon, un fabricant de moteurs automobiles, se plaignait dans son journal Horizontes :
De nombreux ouvriers ne voient dans les collectivisations rien de plus qu’un simple changement de bénéficiaires ; ils jugent de manière simpliste que leur contribution à l’usine (…) se limite à louer leurs services tout comme lorsque l’industrie était privée, et ne s’intéressent qu’à (…) leurs salaires à la fin de la semaine.
En mai 1937, les militants de Marathon tentèrent de convaincre leur base de tirer « le maximum » de ces machines tant haïes autrefois.
En janvier 1938, Solidaridad Obrera, le quotidien de la CNT, publiait un article intitulé : « Nous imposons une stricte discipline sur le lieu de travail », qui fut réimprimé plusieurs fois par les périodiques de la CNT et de l’UGT : Certains, malheureusement, se sont mépris sur le sens de la lutte héroïque que mène le prolétariat espagnol.
Ce ne sont ni des bourgeois, ni des officiers militaires, ni des curés, mais des ouvriers, d’authentiques ouvriers, des prolétaires habitués à souffrir de la répression brutale du capitalisme (…). Leur indiscipline sur le lieu de travail a empêché le fonctionnement normal de la production (…). Avant, quand le bourgeois payait, il était logique de faire du tort à ses intérêts, de saboter la production et de travailler le moins possible (…). Mais aujourd’hui, c’est tout à fait différent (…). La classe ouvrière commence à construire une industrie qui servira de base à la société nouvelle.
Dans une conversation confidentielle avec des membres CNT de la collectivité d’optique, une personnalité communiste, Ruiz y Ponseti, l’un des dirigeants les plus importants de l’UGT, reconnaissait que c’était le comportement des ouvriers qui mettait le plus en danger les collectivités. Selon lui, sans aller jusqu’à le dire publiquement, les ouvriers n’étaient tout simplement que les « masses », dont, malheureusement, la coopération était indispensable au bon fonctionnement des entreprises [23].
Par suite, dans Barcelone révolutionnaire, les dirigeants et militants des organisations qui affirmaient représenter la classe ouvrière furent forcés de faire la guerre à la résistance opiniâtre des ouvriers au travail. Cette poursuite des luttes ouvrières contre le travail dans des circonstances où les organisations ouvrières étaient à la tête des forces productives, pose la question de la mesure dans laquelle elles incarnaient véritablement les intérêts de la classe ouvrière. Il semblerait que la CNT, l’UGT et le PSUC (Partit Socialista Unificat de Catalunya/parti communiste catalan) reflétaient les vues des ouvriers que ces organisations considéraient « conscients ». Les « inconscients », dont le nombre dépassait de loin celui des « conscients », n’avaient aucune représentation formelle ni organisationnelle. Ils n’ébruitaient généralement pas leur refus de travailler, pour des raisons faciles à comprendre : après tout, leur résistance au travail était subversive dans une révolution et une guerre civile où une nouvelle classe dirigeante se consacrait avec ferveur au développement économique. Leur silence était un moyen de se défendre et une façon de résister. Il empêche tout décompte statistique des résistances au travail ; et de nombreux refus n’ont certainement jamais été chiffrés ni fait l’objet d’aucun témoignage.
Cette histoire de la résistance ouvrière au travail peut être partiellement reconstituée à partir des comptes rendus des assemblées des collectivités et, paradoxalement, des critiques venant des organisations qui prétendaient représenter la classe. Les luttes contre le travail mettent en évidence la distance, le fossé séparant les militants, adeptes du développement des moyens de production, et l’immense majorité des travailleurs qui n’étaient pas prêts à se sacrifier sans réserve pour exaucer l’idéal des militants. Alors que ces derniers identifiaient la conscience de classe au contrôle et au développement des forces productives, à la mise en œuvre d’une révolution productiviste et d’un effort sans réserve pour gagner la guerre, la conscience de classe de la plupart des ouvriers se manifestait, elle, dans le fait d’échapper à l’espace et au temps de travail, tout comme avant la révolution.
II. Paris
A Paris, dans le contexte politique et économique extrêmement différent du Front populaire, la conscience de classe de nombreux ouvriers d’usine se présentait sous une forme très proche de celle des ouvriers de Barcelone que nous venons de voir. Mais, avant d’entrer dans les détails de la résistance ouvrière au travail à l’époque du Front populaire, rappelons que les ouvriers français, tout comme les ouvriers espagnols, ont une riche histoire de refus du travail, sur laquelle il y a, heureusement pour les historiens, une abondante documentation. Les études sur les ouvriers au xixe siècle et début du xxe ont montré l’importance du sabotage, des retards, de l’ivrognerie, du vol, des ralentissements, des luttes contre le travail aux pièces et de l’insubordination [24]. En outre, l’absentéisme, les congés pris sans autorisation et les conflits à propos de l’horaire de travail ont tous été recensés avant la première guerre mondiale.
On en sait moins sur la période de l’entre-deux-guerres. Quoi qu’il en soit, la stabilité politique et économique relative de la France dans les années 1930, comparativement à son voisin ibérique, semble avoir mis une sourdine à la résistance des ouvriers au travail. Chez Citroën, les ralentissements des cadences, l’absentéisme et le sabotage paraissent avoir été « relativement limités et s’être bornés à un taux élevé de rotation du personnel et à la résignation [25] », même s’il y eut plusieurs grèves importantes [26]. Néanmoins, en 1932, Renault se lançait dans une vaste campagne contre le gaspillage, les tire-au-flanc et la mauvaise qualité de la production [27]. Des sommes importantes furent dépensées dans le département de supervision mécanique qui employait 16 inspecteurs et 279 examinateurs pour vérifier le rendement d’environ 9 000 ouvriers. Hormis ces tentatives de pallier la défectuosité de la production, Renault employait aussi ses propres médecins chargés de faire passer un contrôle aux ouvriers se disant victimes d’un accident du travail. La compagnie cherchait ainsi à empêcher les ouvriers de trouver un docteur permissif ou compatissant qui autoriserait le blessé à demeurer en congé maladie plus longtemps que ne le souhaitait la direction. Enfin, on mit en place dans les ateliers des contrôles stricts afin de réduire les vols et les chapardages. Cette discipline soulevait les fréquentes protestations des ouvriers qui, comme au xixe siècle, disaient : le bagne, en parlant de l’usine.
Mais si le comportement de la base en Espagne et en France au début du xxe siècle était souvent similaire, la position des organisations de la classe ouvrière espagnole et française, elle, n’était pas du tout la même. Pour diverses raisons qui ne peuvent être développées ici, il n’y avait pas en 1936 en France de situation révolutionnaire ; et, sous le Front populaire, ni les syndicats ni les partis de gauche n’exproprièrent les usines. Contrairement à la CNT, la CGT (Confédération Générale du Travail), le principal syndicat français, ne dirigea aucune entreprise collectivisée ou sous contrôle syndical. Tout en étant associée au gouvernement du Front populaire et sympathisant avec lui, la Confédération devait tenir compte de sa base qui demandait à travailler moins et être payée plus. Les appels des hauts dirigeants de la CGT, plus sensibles aux implications nationales et internationales de la faiblesse économique et de l’impréparation militaire du pays, à travailler d’arrache-pied et à ne pas ménager ses efforts, se heurtaient parfois aux contrordres des délégués syndicaux d’un rang moins élevé qui approuvaient ouvertement ou tacitement les retards, l’absentéisme, les maladies simulées, les ralentissements de la production, les vols et le sabotage.
Au printemps 1936, une vague de grèves sur le tas suivait la victoire du Front populaire. La résistance au travail s’intensifia sous les gouvernements de Front populaire, même après qu’eurent cessé les occupations. Beaucoup d’ouvriers profitèrent du relâchement de la discipline de type militaire qui avait marqué la vie en usine pendant la crise des années 1930 pour arriver en retard, partir en avance, ne pas se présenter au travail, ralentir la production et désobéir aux ordres des supérieurs. Certains ouvriers n’interprétaient pas tant l’union de Front populaire politiquement qu’en termes de vie quotidienne ; autrement dit, pour la plupart des ouvriers parisiens, le « fascisme » était associé à une discipline de fer dans les ateliers, une productivité intensive et une semaine de travail longue et pénible. Un contremaître qui exigeait une stricte obéissance, un chef qui instituait un horaire de travail plus long, ou un ingénieur qui accélérait le rythme de la production se voyaient aussitôt traités de « fascistes » par une bonne partie des ouvriers [28].
Une lettre écrite par un ouvrier parisien à son député montre bien le rapport établi entre travail et fascisme dans l’esprit de certains travailleurs [29]. Ce correspondant, qui se décrivait comme un « partisan convaincu du Front populaire », protestait contre le renvoi d’une jeune femme qui avait refusé de venir travailler le jour légalement férié du 11 novembre. Il accusait le directeur de l’entreprise, le magasin de luxe Fauchon, d’être un « fascite [sic] notoire » et affirmait que le licenciement de cette femme était illégal et intolérable « sous un gouvernement de Front populaire, élu par des travailleurs pour la défense de leurs intérêts ». Bien que celui qui avait écrit cette lettre eût tort relativement à l’illégalité du renvoi (l’interdiction de travailler les jours de congé légaux ne s’appliquait pas aux commerces de luxe mais aux usines et aux mines), son courrier - malgré les fautes d’orthographe et une connaissance lacunaire du code du travail - révèle que le Front populaire était assimilé à la défense des congés. Il est aussi intéressant de noter que les accusations de fascisme étaient portées contre un employeur qui voulait « récupérer » un jour férié. A Paris comme à Barcelone, il y eut de très nombreuses luttes contre la récupération de ces jours de fête.
De même qu’à d’autres époques de l’histoire de France où un gouvernement « faible » ou pour le moins permissif tolérait les grèves croissantes, par exemple au début de la Monarchie de juillet, à la fin du Second Empire, au cours des premières années de la Troisième République ou encore pendant le Bloc des gauches [30], le Front populaire offrait l’occasion de se rebeller contre le rythme de travail et de combattre le travail en tant que tel. Après l’occupation de Renault, ces luttes ont emprunté diverses formes, et les ouvriers modifiaient leurs horaires, arrivant après l’heure et partant avant l’heure.
Dans différents ateliers, les ouvriers ont modifié, de leur propre initiative, les heures de présence, se présentant une heure plus tôt ou une heure plus tard à leur travail, et le quittant en conséquence [31].
Beaucoup de délégués syndicaux ne venaient pas travailler, eux non plus :
Les Délégués n’effectuent, en fait, aucun travail effectif. Certains n’apparaissent à leur atelier qu’à titre accidentel. La plupart d’entre eux quittent leur travail à tout moment, sans en demander l’autorisation à leur Chef. Les Délégués se réunissent d’une façon presque permanente, et, malgré de nombreux avertissements donnés, ils persévèrent dans cette façon de comprendre leurs fonctions [32].
Les délégués, au su de tous, entraient à l’usine dans un état d’« ébriété excessif », « faisant des pitreries, empêchant ainsi les ouvriers de travailler normalement ». Le 5 février 1937, un délégué ordonnait d’arrêter les machines à l’heure du déjeuner ; en conséquence, « il fut difficile, sinon impossible de travailler pendant le déjeuner » [33].
Tant les délégués syndicaux que les ouvriers cherchaient à avoir un droit de regard sur les embauches et les licenciements chez Renault. En septembre 1936, le personnel de l’atelier 247 [34] exigeait la démission de leur chef d’atelier « sous prétexte qu’il les fai[sai]t trop travailler » [35]. Le 25 novembre [36] 1937, alors que la direction de Renault refusait d’embaucher un jeune ouvrier sans expérience à un poste hautement qualifié, Syndicats, l’organe de la tendance anticommuniste au sein de la CGT, protestait : « Les industriels ne veulent embaucher que les ouvriers capables de rendement maximum » ; et le journal demandait que la CGT exerce un droit de regard sur les embauches. Les délégués, de leur côté, exigeaient de la direction le licenciement d’employés qui ne voulaient pas s’affilier à la CGT.
La direction éprouvait souvent des difficultés à licencier des ouvriers ayant commis une « faute professionnelle lourde » :
Sur une simple observation faite par le Contremaître à un ouvrier celui-ci, sans un mot, appliqua deux coups de poing sur la figure du Contremaître, lui faisant des contusions assez sérieuses [37].
Le 8 septembre 1936, les délégués de l’atelier où avait eu lieu l’incident menaçaient de faire grève si l’ouvrier qui avait été licencié pour avoir frappé son contremaître n’était pas immédiatement réintégré. De même, il fut impossible de renvoyer un chauffeur de l’entreprise à l’origine de trois accidents séparés en trois jours de suite :
On nous mit dans l’obligation de conserver cet ouvrier, sous prétexte que son départ n’était pas motivé par des fautes professionnelles, mais parce qu’il avait été le Chauffeur du Député (PC) Costes pendant la grève [38].
Les représentants syndicaux empiétaient sur les prérogatives d’employeur de la direction. Ainsi, dans l’atelier 125, une rationalisation du processus d’aménagement intérieur des voitures ayant eu pour effet de réduire le nombre d’ouvriers nécessaires, la direction avait décidé de licencier ceux dont le taux d’absentéisme était élevé ; mais les délégués s’opposèrent aux choix de la direction. Les représentants syndicaux allaient jusqu’à contester le recours à la sous-traitance, une méthode, selon eux, de licencier de facto des employés de Renault ; et, le 22 janvier 1937, les ouvriers arrêtaient le travail et bloquaient un camion de livraison de pièces détachées fabriquées par une entreprise extérieure [39].
Les délégués faisaient un usage très particulier des acquis des occupations de mai-juin. Après les grèves du printemps 1936, les fouilles régulières des paquets et des musettes des ouvriers à la sortie des usines avaient pris fin et, dans l’atelier 243, un délégué avertit qu’il y aurait des « incidents » si la direction remettait ces contrôles en vigueur [40]. Néanmoins, celle-ci exerça subrepticement une « surveillance discrète » pendant plusieurs mois. Le 4 décembre 1937, un délégué et un acolyte étaient arrêtés alors qu’ils montaient dans un taxi. Tous deux portaient de gros sacs ; ils furent conduits au poste de police où ils déclarèrent que depuis plusieurs mois, ils dérobaient tous les jours cinq kilos de métal anti- friction, qu’ils revendaient ensuite. Renault réclama 200 000 francs de dommages, incluant le coût de la marchandise volée et le prix estimé des « perturbations apportées dans nos fabrications ».
Les vols, l’indiscipline, les retards et l’absentéisme étaient l’expression d’un problème central : la répugnance des ouvriers à produire et travailler autant que le souhaitait la direction. Dans les ateliers de polissage, chromage et nickelage, les ouvriers (en majorité des femmes) débrayèrent avec une « facilité déconcertante » et ne formulèrent leurs revendications « qu’après l’arrêt injustifié du travail » [41]. Les ralentissements du travail et les récriminations contre le travail aux pièces ont marqué toute la durée du Front populaire. Dans l’atelier 125, les représentants syndicaux firent une pétition contre les primes de rendement et pour un salaire « à la journée ». Les régleurs sur tour automatique menacèrent de faire grève si le travail aux pièces n’était pas supprimé et leurs salaires augmentés de 30 % [42]. Le 28 août, il y eut un arrêt de travail dans l’atelier des pièces détachées pour protester contre le rythme des cadences « considéré trop rapide par les délégués ». Le 12 octobre 1936, dans les ateliers de polissage, les représentants syndicaux s’élevaient « violemment » contre les nouvelles normes du travail aux pièces. Après juin 1936, on installa de nouvelles machines dans la fonderie d’aluminium, supposées réduire les coûts de 20 % ; mais la réduction attendue ne fut que de 4 % parce qu’après une « longue discussion » les ouvriers refusèrent de « travailler sur ce nouveau matériel ». Des ralentissements du travail affectèrent divers ateliers et chaînes d’assemblage tout au long des années 1937 et 1938, et la direction se plaignait de ce que le rendement en 1938 était inférieur à celui de 1936. De l’avis même des employeurs, il fallait impérativement surveiller de très près les ouvriers si l’on voulait obtenir un niveau décent de production [43].
Les délégués poussaient souvent les travailleurs à résister à l’accélération des cadences. En 1938, dans les ateliers de polissage, les représentants syndicaux obligeaient les ouvriers à leur montrer leur fiche de paye, les militants CGT pouvant ainsi savoir qui dépassait les quotas imposés de facto. En janvier 1937, une ouvrière semi-qualifiée reconnaissait qu’elle voulait bien « en faire plus » mais ajoutait qu’elle subissait des pressions de la part des délégués pour qu’elle ne dépasse pas lesdits quotas [44]. L’un d’eux déclarait à qui voulait l’entendre : « Dès qu’il y a un bruit quelconque dans l’usine, je fais débrayer et je vais voir de quoi il s’agit. » [45]
Dans l’aviation, malgré une nationalisation partielle, la participation de la CGT aux conseils administratifs et autres innovations favorables aux syndicats, les délégués CGT et la base s’opposaient par tous les moyens au travail aux pièces et aux primes de rendement. Chez Salmson, une entreprise de construction aéronautique privée, la CGT se plaignait que son secrétaire eût été injustement renvoyé et que ses délégués fussent dans l’impossibilité d’exercer leurs fonctions. En agissant de cette façon, la direction, poursuivait-elle n’« encourageait pas les ouvriers à augmenter les cadences » ; et la CGT de déclarer : « Pour obtenir un rendement normal, on doit avoir une attitude normale vis-à-vis des ouvriers. » [46] Le président de la Société nationale de constructions de moteurs à Argenteuil, lui-même fervent avocat des nationalisations, avisait son personnel que « dans une usine on travaille » [47]. Des courbes du rendement et de la production devaient être affichées dans chaque atelier, et il demandait à ses ouvriers de respecter l’autorité basée sur le savoir et les compétences. René Belin, le dirigeant CGT qui représentait sa Fédération au conseil administratif de la Société nationale de constructions de moteurs, niait avoir « imposé » aux ouvriers une résolution fixant la longueur de la journée de travail et le rendement, mais se prononçait quand même pour le maintien d’« un rendement satisfaisant dans les usines d’aviation, et spécialement à la [compagnie] Lorraine » [48].
Les directeurs des entreprises d’aviation nationalisées accordèrent des augmentations de salaires, une indemnisation élevée des heures supplémentaires, des vacances en août, de meilleures conditions d’hygiène et de sécurité, une formation professionnelle, des moyens de transports spéciaux pour se rendre au travail, et même une participation de la CGT aux embauches ; cependant, dans le même temps, le patronat insistait pour que la paye soit calculée en fonction de la production grâce à un système de travail aux pièces et de primes [49]. Les cadres des entreprises publiques et privées étaient convaincus de la nécessité de ces primes alors que, malgré l’acquisition de nouvelles machines et l’embauche de personnel supplémentaire, la productivité ne cessait de décliner. En 1938, l’organisation patronale Constructeurs de Cellules faisait appel au ministre de l’Air, Guy de la Chambre, en faveur du « développement du travail aux pièces ». Les employeurs de la métallurgie alléguaient :
Le travail aux pièces [dans l’aviation] est pratiquement abandonné. La Fédération des Métaux (CGT) contraint les ouvriers payés aux pièces à ne pas dépasser un « plafond » de salaires fixés [50].
En février 1938, le ministre de l’Air déclarait que la production aéronautique était handicapée, non pas à cause de la semaine de quarante heures, mais plutôt de l’« insuffisance du rendement horaire dans nos usines nationalisées » [51]. Ces luttes contre le travail aux pièces et la vitesse du rythme de production ne touchaient pas seulement les entreprises modernes, telles que l’aéronautique et l’automobile, mais aussi celles de la construction, plus petites et plus traditionnelles, généralement le refuge des artisans. L’indépendance des plombiers ou des couvreurs, par exemple, était énorme en regard du « territoire militarisé de l’usine ». La construction se composait majoritairement d’entreprises familiales et autonomes ; alors qu’en 1931, dans la métallurgie, 98,3 % des ouvriers étaient employés dans des établissements de plus de 100 ouvriers, ils n’étaient que 23,8 % à l’être dans le secteur de la construction et des travaux publics [52] ; 40 % environ l’étaient dans des établissements de moins de 50 ouvriers. Or en 1931, l’industrie de la construction faisait travailler un million d’ouvriers, approximativement 10 % de la force de travail.
Dans le plus grand projet de construction du Front populaire, l’Exposition universelle de 1937, auquel participaient des centaines d’entreprises, les délégués CGT imposèrent des quotas de production, limitant ainsi l’efficacité du travail payé aux pièces. Ils avaient, par exemple, fixé le nombre de briques qu’un maçon pouvait poser ou à quelle vitesse pouvait travailler un plâtrier [53]. Il était difficile de licencier ces ouvriers à cause de la puissance de la CGT et des craintes de l’administration d’avoir à faire face à des perturbations. Par exemple, lorsque l’administrateur du pavillon de l’Algérie renvoya neuf couvreurs, les ouvriers occupèrent le site en représailles, malgré la présence de la police ; et les officiels durent se résigner à les maintenir en place. Arrachard, le secrétaire général de la Fédération du bâtiment, affirmait être fréquemment intervenu pour que les ouvriers travaillent normalement et remplissent leurs tâches dans les temps impartis ; apparemment en vain [54]. Plusieurs semaines après que le 1er mai, date prévue d’ouverture, fut passé, les retards dans la construction devenaient de plus en plus embarrassants pour le gouvernement qui voulait faire de l’Exposition la vitrine du Front populaire. Le 13 mai 1937, Jules Moch, bras droit de Léon Blum, disait à Arrachard que « la comédie a[vait] assez duré », et que l’ordre devait être restauré. En juin 1937, le même menaçait de « prendre le public à témoin » et raconter à la presse que le syndicat était responsable des retards, si les musées n’étaient pas rapidement terminés [55]. Certains pays étrangers cherchèrent à employer des ouvriers non français pour achever leurs pavillons ; la CGT non seulement s’y opposa fermement, mais s’opposa aussi au recrutement de Français de province [56]. Les Américains, par exemple, auraient bien voulu que leur pavillon soit fini le 4 juillet, jour anniversaire de l’Indépendance, et avaient passé un contrat avec une entreprise belge pour mettre la dernière main à un toit métallique, en raison de l’« impossibilité d’obtenir un rendement suffisant des ouvriers français ». Mais la CGT, soutenue par l’inspection du travail de l’Exposition universelle, exigea l’embauche d’un certain nombre de ses ouvriers. Ces ouvriers français, fraîchement arrivés, n’ont fait que désorganiser le chantier et décourager les ouvriers belges par leur inactivité absolue ressemblant à de la grève perlée [57].
La pose du toit prit deux fois plus de temps que prévu.
Il ne faudrait toutefois pas attribuer entièrement les baisses de rendement et le désordre dans les usines aux seules initiatives des délégués. Le patronat avait tendance à rejeter la faute des troubles dans la production sur des « perturbateurs » et des « agitateurs ». Mais chez Renault, ces meneurs, comme les appelaient les employeurs, disposaient parmi les ouvriers d’un solide point d’appui. Après tout, les délégués CGT étaient toujours élus à une écrasante majorité : en juillet 1936, la Fédération des Métaux recueillait 86,5 % des voix des inscrits, tandis que les autres syndicats confondus n’en obtenaient que 7 %, le taux d’abstention étant de 6,5 % [58]. En juillet 1938, la CGT conservait le soutien de la grande majorité : elle obtenait 20 428 voix sur 27 913 votants, soit 73,2 %. Les autres syndicats - Syndicat Professionnel Français, CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens/Catholiques) et « indépendants » - en recevaient à eux tous 10,9 % ; le taux d’abstention, lui, s’élevait subitement à 15,9 %, plus de deux fois celui de 1936. Certes, on ne peut exclure que les militants CGT aient pu intimider les votants, mais on peut aussi plausiblement avancer que les délégués de la Fédération des Métaux, qui bénéficiaient de telles majorités sans commune mesure (71 délégués sur 74 en 1938), exprimaient dans l’ensemble les attentes de leurs électeurs.
La base parfois mettait des limites au pouvoir de ses représentants. Ainsi, par exemple, des délégués sollicitèrent de la direction la suppression d’une certaine prime, en échange d’une promesse formelle que la productivité n’en souffrirait pas ; ce qui n’empêcha pas le rendement de chuter [59]. Le 30 juin 1936 déjà, lors de négociations entre le ministre du Travail et les employeurs de la métallurgie, une délégation CGT avait promis son aide pour augmenter la production, mais cet engagement, lui aussi, resta lettre morte. L’intervention des délégués en faveur d’une amélioration de la production risquait de susciter la « colère des travailleurs contre les délégués ». Beaucoup d’ouvriers ne faisaient souvent aucun cas des hauts dirigeants de la CGT et du Parti communiste : le 16 septembre 1936, la direction de Renault signalait un arrêt de travail « malgré les interventions du secrétaire de la Fédération des Métaux et de M. Timbault », un important dirigeant de la CGT. Parfois même, des délégués de rang inférieur désobéissaient à leurs supérieurs syndicaux ou revenaient sur des accords convenus précédemment :
D’accord avec les délégués, il avait été convenu que les peintres feraient deux heures supplémentaires pour terminer des véhicules destinés au Salon. A 18 heures, le délégué M., mécontent de sa paye, leur donne ordre de partir au nom de la CGT [60].
Même si les délégués qui contrevenaient aux règlements étaient renvoyés, la base n’en continuait pas moins de freiner la production.
Certains militants communistes s’irritaient du comportement des ouvriers. Durant une réunion de cellule, un militant
[s’éleva] (…) contre les abus commis par les camarades : arrêts du travail avant l’heure. Le pointage de midi étant supprimé, on a vu, dit-il, des camarades dans la rue avant même que midi ait sonné (…), [et avait noté des] arrêt[s] du travail de 20 ou 30 minutes avant l’heure, etc. [61].
Un militant communiste avait été vu en train de discuter avec son contremaître alors qu’il était ivre ; il admit qu’il avait « un tout petit coup dans le nez », et ne reçut qu’un simple avertissement de sa cellule.
Avec ou sans le soutien des délégués, communistes ou non, les ouvriers se battaient pour préserver la semaine de 40 heures, pour beaucoup l’un des principaux acquis du Front populaire. Le patronat de l’aviation, lui, sous prétexte du faible niveau de la production et de la recrudescence des tensions internationales, fit pression tout au long du printemps et de l’été 1938 pour obtenir une extension de l’horaire de travail. En mars 1938, l’administrateur d’une entreprise nationalisée, la SNCASE (Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Est), insistait sur
la nécessité, pour accélérer la fabrication, d’obtenir rapidement la faculté de travailler quarante-cinq heures (…) [pour] le personnel employé aux bureaux d’études et à la fabrication d’outillage.
D’autres industriels de l’aviation ajoutaient que, pour être efficace, la semaine de quarante-cinq heures devait être étendue aux fournisseurs des matières premières et des produits semi-finis [62]. En juillet 1938, la Chambre syndicale des constructeurs de moteurs d’avions se réunissait pour discuter de savoir s’il fallait accepter simplement le crédit de 100 heures supplémentaires par an, proposé par le gouvernement, ou bien tenter d’obtenir une « dérogation permanente » aux restrictions affectant la semaine de travail :
M.. X estime que ce n’est pas un crédit d’heures supplémentaires, mais bien une dérogation permanente qui devrait être obtenue. Je serais de son avis si la dérogation permanente avait quelques chances d’être obtenue, mais je crois savoir qu’il n’en est pas question ; si donc nous nous cantonnons sur une demande de dérogation permanente, que nous sommes à peu près certains de ne pas avoir, nous risquons de perdre le bénéfice d’un crédit supplémentaire de 100 heures ; le mieux est quelquefois l’ennemi du bien [63].
En dépit des affirmations selon lesquelles les ouvriers étaient prêts à se sacrifier pour la défense nationale, avancées par beaucoup au sein du Front populaire, le gouvernement éprouvait des difficultés à étendre la semaine de travail au-delà des quarante heures. Le 2 mars 1938, Syndicats rappelait que « les ouvriers de la métallurgie [étaient] trop attachés à la semaine de 40 heures pour la laisser violer. » Le 1er septembre 1938, la Société d’Optique et de Mécanique de Haute Précision recevait l’autorisation du gouvernement de majorer de cinq heures la semaine de travail, qui passait ainsi de 40 à 45 heures [64]. La direction décidait alors que la journée commencerait à 7 heures 30 au lieu de 8 heures et se terminerait à 18 heures au lieu de 17 heures 30. Le lundi 5 septembre, aux ateliers du boulevard Davout, 59 % des ouvriers refusèrent de se plier au nouvel horaire et arrivèrent après 7 heures 30 ; le soir, ils étaient 58 % à partir avant 18 heures ; le mardi, 57 % arrivaient après l’heure. Aux ateliers de la Croix-Nivert, 36 % du personnel arrivaient en retard le lundi, et 59 % le mardi. « La grande majorité » des ouvriers qualifiés ne tenait pas compte du nouvel horaire et était indisciplinée. D’autres sociétés signalaient aussi d’innombrables refus de la part des ouvriers de se conformer à l’extension légale de la semaine de travail. Pendant la seconde guerre mondiale, un numéro clandestin du journal socialiste Le Populaire reprochait encore aux ouvriers de n’avoir pas voulu faire d’heures supplémentaires au temps du Front populaire. Le dirigeant CGT Ambroise Croizat reconnaissait volontiers que la semaine de 40 heures handicapait la production aéronautique et qu’il fallait allonger l’horaire de travail, mais ajoutait aussitôt que « les masses ouvrières » étaient « insuffisamment informées des nécessités industrielles » [65].
Un célèbre historien a écrit que la semaine de 40 heures était un « symbole » pour les ouvriers (69). Seulement, les luttes pour la préserver étaient bien réelles, et les ouvriers dela construction, de la métallurgie et autres industries se sont battus sans relâche pour la conserver. La semaine de 40 heures peut apparaître comme un « symbole » du pouvoir croissant de la classe ouvrière aux intellectuels ou à d’autres, mais pour ceux qu’elle concernait directement - ouvriers et employeurs - cela signifiait surtout travailler moins. De même, lorsque Edward Shorter et Charles Tilly écrivent que la « grève devenait un acte symbolique », c’est en exagérer l’aspect emblématique [66]. Une grève peut évidemment avoir un côté symbolique, mais c’est d’abord et avant tout un arrêt de travail. Il peut paraître superflu de le souligner, mais dans la mesure où les historiens du travail se concentrent généralement sur les causes politiques et économiques d’une grève, ou son symbolisme, on serait tenté de l’oublier.
Les grèves sous le Front populaire, quelle qu’ait été la forme qu’elles prenaient, exprimaient toutes une hostilité générale au travail. Pendant la grande vague des occupations et des grèves sur le tas du printemps 1936, les ouvriers français, à la différence des militants espagnols, n’ont jamais cherché à faire marcher eux-mêmes les usines. Les grèves plus conventionnelles, sauvages ou non, étaient elles-mêmes clairement des refus de travailler. Faire la grève, cela voulait souvent dire profiter de l’instant présent, et les danses ou les chants à l’intérieur des usines pendant les occupations manifestaient la joie de ne pas travailler. Le Front populaire fut pour la classe ouvrière une période particulièrement intense de réappropriation du présent, de prise de possession du temps pour soi-même.
Employeurs et fonctionnaires comparaient l’ambiance du Front populaire avec celle du début des années 1930. Une grande société de construction, qui était en train de prolonger le métro jusqu’à la gare d’Orléans, « opposait l’attitude en 1934, où la productivité était en augmentation, à celle de 1936 » [67]. Un haut fonctionnaire d’une compagnie d’aviation nationalisée notait la « vague générale de paresse » qui déferlait sous le Front populaire. L’Inspecteur général du travail rappelait le 8 septembre 1938 :
Il faut aussi que les syndicats ouvriers ne laissent passer aucune occasion de proclamer que le respect de la convention collective implique l’observation [par les ouvriers] de la discipline nécessaire du travail. Qu’il n’y a pas de discipline sans autorité. Qu’après avoir par la convention collective défini, délimité l’autorité qui doit obligatoirement présider au travail, ceux qui l’exécutent ont le devoir étroit de s’y soumettre [68].
A cause du défi des ouvriers à leur autorité, du désordre réel ou menaçant et d’un nivellement de l’échelle des salaires, les personnels d’encadrement - contremaîtres, chefs d’atelier, mais aussi sans doute ingénieurs et techniciens - commencèrent à pencher en faveur des partis d’extrême droite ou des mouvements « fascistes » qui réclamaient à grands cris la restauration de l’ordre et de la discipline sur le lieu de travail. Une lettre du 1er décembre 1938, vraisemblablement écrite par Louis Renault lui-même, indiquait :
Notre maîtrise a subi, depuis deux ans, tous les contrecoups de la politique. Elle a été obligée d’accepter souvent que la discipline ne soit pas respectée, que le rendement soit systématiquement freiné [69].
Les mouvements d’extrême droite attiraient ces cadres (ainsi que certains ouvriers) qui, pour des raisons personnelles ou patriotiques, exigeaient du zèle dans le travail et plus de discipline, et considéraient les partis et les syndicats de gauche - peu importaient leur réformisme ou leur patriotisme affichés - comme fondamentalement subversifs de par leur incapacité ou leur irrésolution à empêcher les grèves, rétablir la discipline, et, plus généralement, contrôler les ouvriers.
III. Conclusion
La résistance ouvrière au travail ouvre de vastes perspectives. L’étude de l’aversion des ouvriers au travail montre que la prétention des syndicats et des partis politiques de gauche à représenter la classe ouvrière est pour le moins discutable. Les ouvriers français et espagnols continuèrent de résister traditionnellement au travail malgré les appels des communistes, socialistes, anarchistes ou syndicalistes à accroître la production. Cette opiniâtreté de la résistance ouvrière fit naître des tensions entre certains membres de la classe ouvrière et les organisations qui prétendaient les représenter. Dans des contextes différents, l’un révolutionnaire, l’autre réformiste, la persuasion et la propagande, destinées à convaincre les ouvriers à travailler d’arrache-pied, n’atteignirent pas leur but, et il fallut y suppléer par la force. A Barcelone, pour arriver à accroître la productivité, on dut rétablir le travail aux pièces et imposer des règlements stricts. A Paris, ce n’est qu’après le 30 novembre 1938, quand l’Etat fit intervenir massivement la police et l’armée pour briser la grève générale déclenchée en défense de la semaine de 40 heures, que la discipline fut restaurée et que la productivité augmenta dans la plupart des entreprises de la région parisienne. Il fallut renforcer la persuasion par la contrainte pour faire travailler plus durement les ouvriers.
Les théoriciens de la modernisation ont minimisé ou ignoré la résistance ouvrière au travail et l’usage qui fut fait de la force pour assurer un rendement accru. Cette théorie, qui considère les ouvriers dans leur adaptation progressive à l’usine, a sous-estimé la ténacité de l’absentéisme, du sabotage, des retards, des ralentissements et de l’indifférence - phénomènes qui posèrent d’énormes difficultés tant aux révolutionnaires espagnols qu’à la coalition française de Front populaire. Il est malheureusement à peu près impossible de mesurer avec exactitude le très grand nombre de refus du travail. Le mutisme des ouvriers a empêché de lever le voile sur les actes les plus importants de leur classe. Les actions « subversives » - destructions de machines, chapardages, ralentissements du travail, maladies simulées, sabotages - sont rarement revendiquées et exceptionnellement rendues publiques. Il va de soi que les partis politiques et les syndicats qui prétendent représenter la classe ouvrière rechignent à décrire leurs membres autrement que sobres, sérieux et travailleurs, dans des pays qui valorisent par-dessus tout le développement des forces productives. Ce qui est le plus intéressant et le plus important est souvent le plus difficile à trouver, et c’est généralement uniquement dans les archives patronales et policières que ces sujets sont traités. Or, si la discrétion des ouvriers empêche toute mesure statistique du phénomène, la résistance au travail pendant les années 1930 n’en doit pas moins être considérée comme une part essentielle de la vie ouvrière à Barcelone et à Paris.
Non seulement la théorie de la modernisation, mais l’historiographie marxiste du travail elle aussi, a généralement minimisé ou ignoré la persistance de la résistance ouvrière au travail dans les deux situations, révolutionnaire ou réformiste. Tout comme les théoriciens de la modernisation, les marxistes ont une conception progressiste de l’histoire, et ils postulent un mouvement menant de la classe en soi à la classe pour soi, c’est-à-dire une classe ouvrière en formation. Mais cette vision téléologique de l’histoire qui pose le principe du développement d’une classe ouvrière pénétrée d’une « conscience de classe » implicitement homogène conduit aussi à négliger les survivances de différentes consciences de classe, et en particulier la résistance ouvrière au travail. Le refus du travail, ainsi que nous l’avons vu, fut un aspect essentiel de la culture de la classe ouvrière jusque dans le deuxième tiers du xxe siècle dans deux grandes villes européennes, alors que la gauche détenait le pouvoir, à différents niveaux certes, mais considérables. Tant à Paris qu’à Barcelone, les militants sincèrement engagés dans leurs partis et syndicats restaient une minorité séparée de la classe ouvrière. Si de nombreux ouvriers se conformèrent à la nouvelle atmosphère sociale et politique en adhérant aux syndicats, la plupart adaptèrent leurs traditions de résistance au travail à la nouvelle situation. Les prétendus « travailleurs conscients » et les militants furent alors contraints de faire face à cette tout autre conscience de classe de ceux qu’ils appelaient parfois les « ouvriers sans conscience ».
Il ne suffit bien sûr pas de rejeter cette passivité ou ce refus de la classe ouvrière en la qualifiant d’« inconscience » ou de « fausse conscience ». Comme l’écrivait Jean Guéhenno dans son Journal d’une révolution (1936-1938), ce fonds d’indifférence, de confusion même, est une réaction relativement saine. Dans un monde médiocre et factice, le scepticisme est une force, et l’absence d’adhésion de beaucoup d’ouvriers aux idéologies des partis et des syndicats, qui dépendent du monde du travail pour exister en tant qu’organisations, n’est pas obligatoirement de la « fausse conscience ».
La résistance au travail n’entre dans aucune catégorie politique bien définie ; elle subsista pendant toutes les années 1930, quoique avec des intensités variables, sous les gouvernements de droite ou de gauche. Il est vrai que le refus du travail s’est certainement amplifié lorsque les régimes de gauche satisfaisaient les revendications des ouvriers, telles que l’abolition du travail aux pièces ou la semaine de 40 heures ; cependant, des politiques plus répressives, comme celles qui furent appliquées durant le bienio negro ou les premières années de la dépression en France, ont peut-être réduit les luttes contre le travail, mais ne les ont pas éliminées. On peut raisonnablement avancer que la résistance au travail répondait aux désirs les plus intimes de nombreux ouvriers et que si elle est restée cachée, elle n’en est pas moins une part importante de la culture de la classe ouvrière dans des situations politiques dissemblables.
Michael Seidman
Spécialiste de la France et de l’Espagne modernes, Michael Seidman enseigne l’histoire à l’université de Caroline du Nord.
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Contribution au débat sur le refus du travail.
Une brochure d’Échanges et Mouvement publiée en 2001.
BP 241 - 75866 Paris Cedex 18.
Courriel : echanges.mouvement@laposte.net
Notes :
[1] Pour l’historiographie marxiste, cf. Georg Lukacs, History and Class Consciousness (Cambridge, Mass., 1971), p. 46-82 [Histoire et conscience de classe, éditions de Minuit, 1960, chapitre : « La Conscience de classe » (NdT)] ; George Rudé, Ideology and Popular Protest (New York, 1980), p. 7-26 ; cf. aussi les nouvelles positions de Lukacs dans Eric Hobsbawn, Workers : Worlds of Labor (New York, 1984), p. 15-32. On trouvera les conceptions des théoriciens de la modernisation dans Peter N. Stearns, Revolutionary Syndicalism and French Labor : A Cause without Rebels (New Brunswick, NJ, 1971), et idem, Lives of Labor : Work in a Maturing Industrial Society (New York, 1975). Pour une critique de l’approche de Lukacs, voir Richard J. Evans, The German Working Class (London, 1982), p. 26-27.
(De Michael Seidman, voir aussi L’individualisme subversif des femmes à Barcelone, années 1930 (NDE.)
[i] Fomento del Trabajo Nacional, actas, 15 avril 1932 ; Fomento, actas, 14 février 1927.
[2] Federación de Fabricantes de Hilados y Tejidos de Cataluña, Memoria (Barcelona, 1930).
[3] Alberto Balcells, Crisis económica y agitación social en Cataluña de 1930 a 1936 (Barcelona, 1971), p. 218.
[4] Federación de Fabricantes, Memoria (Barcelona, 1932).
[5] Alberto del Castillo, La Maquinista Terrestre y Marítima : Personaje histórico, 1855-1955 (Barcelona, 1955), p. 464/465. Fomento, Memoria, 1932, p. 143.
[6] Bieno negro : les deux années noires. (NdT.)
[7] Actas de Junta y los militantes de las industrias construcciones metálicas CNT, 25 février 1938, carpeta (abrégé ci-après : c.) 921, Servicios Documentales, Salamanca (abrégé ci-après : SD).
[8] Balcells, Crisis, p. 196 ; Albert Pérez Baró, 30 meses de colectivismo en Cataluña (Barcelona, 1974), p. 47.
[9] H. Rüdiger, « Materiales para la discusión sobre la situación española », Archives Rudolf Rocker, n° 527-30, Institut international d’histoire sociale, Amsterdam. Mon propre échantillon de 70 ouvriers donne des résultats quelque peu différents : 54 % des ouvriers interrogés avaient adhéré à la CNT après juin 1936 ; le reste pour la plupart (42 %) s’était affilié à la Confédération après mars 1936 ; 4 % seulement en étaient membres avant 1936. Ce phénomène a été qualifié par Balcells de « recuperación sindicalista bajo el Frente Popular ».
[10] Boletín de Información, 9 avril 1937.
[11] Red nacional de ferrocarriles, Servicio de Material y Tracción, Sector Este, mai 1938, c. 1043, SD.
[12] Libro de actas del Comité UGT, Sociedad de Albañiles y Peones, 20 novembre 1937, c. 1051, SD.
[13] Lettre du Consejo Obrero, MZA, Sindicato Nacional Ferroviario UGT, 24 novembre 1937, c. 467, SD ; Actas de la reunión del Pleno, 1er janvier 1937, c. 181, SD.
[14] Sindicato de la Industria Sidero-Metalúrgica, Sección lampistas, Asamblea General, 25 décembre 1936, c. 1453, SD.
[15] Boletín del Sindicato de la Industria de Edificación, Madera y Decoración, 10 novembre 1937.
[16] Actas de la reunión de Junta de Metales no-ferrosos CNT, 18 août 1938, c. 847, SD ; Sección mecánica, CNT-FAI, Columna Durruti, Bujaraloz, 13 décembre 1936, c. 1428, SD ; Actas de la Sección Zapatería, 15 mai 1938, c. 1436, SD.
[17] Gonzalo Coprons y Prat, Empresa Colectivizada, Vestuarios Militares, c. 1099, SD.
[18] Les informations qui suivent sont extraites de Projecte de Reglemantació interior de l’empresa, c. 1099, SD.
[19] José Peirats, La CNT en la Revolución española, 3 vol. (Paris, 1971), t. 3, p. 21/22.
[20] Projecte de Reglementació Interior, 5 mars 1938, c. 1099, SD ; Projecte d’estatut interior per el qual hauran de regir-se els treballadors, février 1938, c. 1099, SD ; Actas de la Sección Zapatería, 15 mai 1938, c. 1436, SD.
[21] Revista dels treballadors de Filatures Fabra i Coats, avril 1937.
[22] Boletín del Sindicato de la Industria de Edificación, Madera y Decoración, 10 septembre 1937.
[23] Voir Informe confidencial, 27 janvier 1938, c. 855, SD.
[24] Voir Michelle Perrot, Les Ouvriers en grève : France 1871-1890, 2 vol. (Paris et La Haye, 1974) ; Roland Trempé, Les Mineurs de Carmaux, 1848-1914 (Paris, 1971), t. 1, p. 229 ; Yves Lequin, Les Ouvriers de la région lyonnaise, 2 vol. (Lyon, 1977).
[25] L’ouvrage de Sylvie Schweitzer n’a pu être consulté, et le texte a été retraduit de l’anglais (NdT).
[26] Sylvie Schweitzer, Des engrenages à la chaîne : les usines Citroën 1915-1935 (Lyon, 1982), p. 145-170.
[27] « Campagne », Archives nationales (abrégé ci-après : AN), 91AQ3.
[28] « Déclaration de Madame X », 14 janvier 1937 ; « P. », 1er février 1937, AN, 91AQ65 ; « Incidents », AN, 91AQ16.
[29] Lettre à Jean Garchery, 9 décembre 1936, AN, F22396.
[30] Perrot, Ouvriers, t. 1, p. 180.
[31] « Autres manquements », 4 septembre 1936, Archives Renault (abrégé ci-après : AR).
[32] « Note », 11 septembre 1936, AR.
[33] 5 février 1937 », AN, 91AQ16.
[34] Le texte anglais indique par erreur « atelier 147 » [NdT].
[35] « Les Violations », 21 octobre 1936, AR.
[36] Le texte anglais indique par erreur « 8 novembre » [NdT].
[37] « Les Violations », 4 septembre 1936, AR. Il se peut que cette « simple observation » du contremaître ait été moins simple et plus agressive que la direction ne voulait bien l’admettre.
[38] « Autres manquements », 4 septembre 1936, AR.
[39] « Rapport concernant le licenciement du personnel de l’atelier 125 », (s. d.), AN, 91AQ15 ; « 22 janvier 1937 », AN, 91AQ16.
[40] « Note de service n° 21.344 », 6 décembre 1937, AN, 91AQ16.
[41] « Incidents », AR.
[42] Le texte anglais indique par erreur : « 38 % » [NdT].
[43] « Incidents », AR ; Note de M. Penard, 22 avril 1938, AN, 91AQ65 ; « Séries de diagrammes de puissance absorbée par les ateliers », 22 avril 1938, AN, 91AQ65 ; « Freinage… des Cadres Camionnettes », « Freinage… des Cadres Celta et Prima », AN, 91AQ116.
[44] « Déclarations de Madame X », 14 janvier 1937, AN, 91AQ65.
[45] « Incidents aux ateliers », AR.
[46] La Vie ouvrière, 21 juillet 1938.
[47] C. Bonnier, « Huit mois de nationalisation », AN, 91AQ80.
[48] Syndicats, 22 juin 1938.
[49] Usine, 21 avril 1938 ; SNCAN (Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Nord), 11 mai 1938.
[50] Conseil d’administration, Chambre syndicale des constructeurs, 17 mars 1938, AN, 91AQ80 ; Usine, 9 juin 1938. Voir aussi Robert Frankenstein, Le Prix du réarmement français, 1935-1939 (Paris, 1982), p. 278.
[51] Usine, 19 février 1938.
[52] Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, 4 vol. (Paris, 1972), t. 1, p. 232.
[53] AN, Exposition 1937, rapport, contentieux, p. 34 (s. d.).
[54] AN, Exposition 1937, Comité de contentieux, 20 juillet 1939 ; La Vie ouvrière, 30 mars 1939.
[55] AN, Exposition 1937, Commission tripartite, 13 mai et 10 juin 1937.
[56] AN, Exposition 1937, note des ingénieurs-constructeurs, (s. d.), Contentieux, p. 37 ; Lettre de l’administrateur, 21 avril 1939, Contentieux, p. 40.
[57] AN, Exposition 1937, note (s. d.), Contentieux, p. 37.
[58] « Résultat des élections des délégués ouvriers », AN, 91AQ116.
[59] « Atelier : Evacuation des copeaux », 30 septembre 1936, AN, 91AQ16.
[60] « Les Violations », 21 octobre 1936, AR.
[61] « Assemblée Générale des Sections et Cellules d’ateliers », (s. d.), AN, 91AQ16. Ce document est probablement le rapport d’un informateur de la direction.
[62] SNCASE (Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Est), 29 mars 1938 ; « Note de la Chambre syndicale des industries aéronautiques du Sud-Est remise à M. le Ministre du travail », 31 mars 1938, AN, 91AQ80.
[63] « Note », 8 juillet 1938, AN, 91AQ80.
[64] Les informations qui suivent proviennent d’une lettre au ministère du Travail, 6 septembre 1938, AN, 39AS830/831.
[65] Robert Jacomet, L’Armement de la France (1936-39) (Paris, 1945), p. 260 ; Croizat, cité par Elisabeth du Réau, « L’Aménagement de la loi instituant la semaine de quarante heures », dans René Rémond et Janine Bourdin (éd.), Edouard Daladier : Chef du gouvernement (Paris, 1977), p. 136. 69. Claude Fohlen, La France de l’entre-deux-guerres, 1917-39 (Paris, 1972), p. 157.
[66] Edward Shorter and Charles Tilly, Strikes in France, 1830-1968 (London, 1974), p. 75.
[67] SPIE-Batignolles, Comité de direction, 15 octobre 1937, AN, 89AQ2025.
[68] SNCASO (Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Ouest), 27 septembre 1938 ; discours au Congrès national des Commissions paritaires, 8 septembre 1938, AN, 39AS830/831.
[69] « Note au sujet des effectifs », AN, 91AQ15.