★ Quatre questions pour l’art anarchiste
« Les anti-autoritaires ont eu beaucoup de succès dans l’utilisation de l’art et du spectacle ces dernières années, que ce soit pour redynamiser le mouvement contestataire à Seattle, avec à la fois des marionnettes et des bris de vitrines, ou pour combattre une construction de barrage en Inde avec des cérémonies élaborées et du théâtre d’action directe. Historiquement, l’art a joué un rôle important dans les mouvements révolutionnaires et la Gauche a une longue tradition de résistance culturelle, particulièrement à travers les arts graphiques. Le collectif graphique Atelier Populaire (1) a joué un rôle substantiel dans le soulèvement étudiant-ouvrier de mai 1968 à Paris. Amilcar Cabral (2) a longuement écrit sur le rôle central de la culture dans les mouvements de libération africains des années 60 et 70.
Étonnamment, cette histoire semble perdue pour la Gauche et nous sommes plus susceptibles de voir une société commerciale exploiter notre propre histoire visuelle pour créer des publicités que d’étudier et de comprendre l’histoire par nous-mêmes. De fait, l’art et la culture ne sont que rarement au centre des débats des anarchistes et anti-autoritaires. L’art s’étant de plus en plus raréfiée dans notre société, relégué dans les musées et les galeries hors de prix, nous avons eu tendance à passer de moins en moins de temps à y réfléchir. Par conséquent, notre définition de « l’art anarchiste » se limite simplement par défaut à de l’art créé par un-e anarchiste, que ce soit sous la forme d’un clip-art graphique, une chanson heavy metal, du théâtre agit prop de rue ou une peinture abstraite.
Plutôt que de me contenter de perspectives superficielles, inconsidérées, ou tout simplement inexistantes, sur l’art, je pense qu’il est extrêmement important que les anarchistes élaborent des idées structurées sur comment l’art et la culture agissent dans la société, influencent les émotions et les idées, et font partie des mouvements pour le changement social. Depuis plus de dix ans, j’ai réalisé des formes d’art et des dessins pour des projets et publications anarchistes, essayant de développer des concepts et une éthique anti-autoritaires de ma pratique artistique, et proposé des idées radicales à travers des formes artistiques créées pour et dans les rues américaines.Comme tout agitateur anarchiste, je veux débattre de l’efficacité de mes actions, mais, en tant que mouvement, nous ne disposons pas des outils adéquats pour évaluer le travail culturel. (En général, je n’ai reçu que peu de réponses critiques envers mon travail artistique venant d’autres anarchistes.) Élaborer de tels outils conceptuels et critiques est aussi compliqué que vital, puisque la culture et l’art sont qualitatifs et non quantitatifs. Vous pouvez compter les personnes qui viennent à une manifestation ou le montant d’argent collecté par un appel à soutien, mais il n’existe pas de barème évident pour mesurer l’efficacité d’un produit ou d’une manifestation culturelle.
Alors, à quoi ressemblerait une nouvelle et plus nuancée perspective concernant « l’art anarchiste » ? si celui-ci n’est pas simplement un art créé par un-e anarchiste, qu’est-ce qu’il est ? Je ne suis pas en train de proposer une stricte définition, ou que nous devrions nous fixer comme objectif la capacité de définir ce qu’est, ou n’est pas, la culture anarchiste. Mais nous avons besoin de réfléchir aux implications de nos actions, que nous soyons producteurs, utilisateurs ou juste spectateurs/auditeurs d’une forme d’art. Les anarchistes devraient réfléchir sur l’efficacité de la culture que nous produisons, et peut-être même se poser des questions sur pourquoi nous produisons un étalage sans fin de journaux et de pamphlets remplis de textes au lieu de belles affiches, d’art de rue ou de vidéos. Je propose que l’on se pose les questions suivantes, concernant toutes les œuvres et les formes d’art afin de nous aider à nous éclairer sur le(s) rôle(s) qu’elles jouent ou pourraient jouer.
1. Est-elle anti-autoritaire dans son contenu ? Fait-elle directement la promotion de l’anarchisme ? est-ce que c’est un portrait de Bakounine ? Une publicité pour l’autogestion ? 2. Est-elle anti-autoritaire dans sa forme? Une pièce mise en scène par une troupe de théâtre sans directeur ? Est-ce une série d’affiches produites en collaboration ? Est-ce une directive disant à une audience quoi penser ou pose-t-elle des questions, offre-t-elle gratuitement une information à l’auditoire ? 3. Comment se diffuse-t-elle à travers le monde ? Quelle est son audience ? Est-elle sous la forme d’un objet d’art hors de prix dans une galerie unique ? Est-ce reproductible et bon marché ? Est-ce affiché dans la rue pour que tout le monde la voit ? Est-ce une peinture murale à côté d’un centre communautaire de quartier ? 4. Est-ce qu’elle conteste ouvertement l’état ou le pouvoir financier ? Est-elle illégale ? Remet-elle en cause les relations sociales ?
J’ai essayé de me confronter avec toutes ces questions par rapport à mes propres pratiques artistiques durant ces dix dernières années. J’avais l’habitude de prendre la première question très au sérieux et je pensais que le contenu de mon travail devait être révolutionnaire : images de héros, de personnes manifestant, criant contre l’impérialisme U.S. Mon affiche « Endroits que les USA ont bombardé depuis la deuxième guerre mondiale » et mon pochoir de Ricardo Flores Magon sont de bons exemples de ce genre d’art politique didactique. Le pochoir de Magon répond clairement à la première question, c’est le portrait d’un anarchiste. L’affiche des bombes est aussi didactique que le pochoir de Magon, mais pas nécessairement anarchiste. Ce qui est intéressant c’est que, contrairement au pochoir, elle attend quelque chose des spectateurs; elle leur demande de remettre en cause les conceptions dominantes du rôle des États-Unis dans le reste du monde.
Endroits que les USA ont bombardé depuis la seconde guerre mondiale Affiche peinte au pochoir et sérigraphiée, distribuée à travers le monde par des expositions, des ventes et des collages dans la rue, 2002.
De plus en plus, j’ai réfléchi à nouveau là-dessus, et j’ai ressenti que les questions qui avaient orienté traditionnellement l’art révolutionnaire, par exemple la question de comment représenter « correctement » la classe ouvrière, était dépassée et était de plus en plus dénuée de sens.Je ne veux pas créer un art qui fait que les gens pensent comme moi (ou comme le parti politique dont je suis membre). Je veux créer un art qui encourage les gens à penser, un point c’est tout. C’est un échec collectif qui a empêché de réfléchir, de se confronter à la complexité, de développer des outils de pensée critique et qui a sapé tant de mouvements passés pour le changement social. Vu sous cet angle, la première question est devenue beaucoup moins intéressante que les trois autres.
Le temps passant, j’ai essayé davantage de créer des œuvres qui posaient des questions, plutôt que d’y répondre. Il y a cinq ou six ans, j’ai essayé de créer un art qui œuvre de manière radicale mais qui ne soient pas seulement une propagande anarchiste de surface. Un des premiers projets réalisé fut une série d’images de feuilles en pochoir, de différentes formes et tailles, autour de Chicago. La plupart était plus grande que de nature, même si certaines étaient plus petites, comme celle peinte sur une télévision abandonnée reproduite ci-dessus. Je pense que ce qui a rendu mon projet efficace est sa nouveauté et son contexte. Personnes ne s’attendait à voir des feuilles gigantesques peintes devant leur appartement. Ce n’était pas des graffitis traditionnels, même si ils étaient peints à la bombe, ce qui les rendaient évidemment illégaux. Ce n’était pas des peintures murales, et n’agissaient pas de la même manière que la plupart des projets artistiques communautaires. Il ne s’agissait pas de propagande, et ils ne communiquaient pas un message simple et clair. Tout cela a obligé les spectateurs à s’interroger sur cette invasion intempestive dans le paysage visuel et, comme il a bien peu de choses à la vue du public qui demande une réflexion, il s’agissait d’un acte radical en soi. Bien que ce n’était pas l’intention première, les feuilles devinrent aussi une déclaration en faveur de l’environnement. En hantant le paysage urbain, elles soulevaient des questions simples qui sont rarement posées en public, comme pourquoi les espaces verts naturels dans les villes deviennent des fleurs artificiels et des arbres plantés sur les terres-pleins centraux des routes.
La série d’affiches « Célébrons l’Histoire du Peuple »collée à Nashville , 2003. « Wangar Maathai » par Ally Bcansprout; « Fred Hampton » par Claude Moller et »Elise Reclus » par Shaun S.
Le flacon de pilules « Mais sommes nous libres ? » avait l’intention d’agir de la même manière. Dans cet exemple, un objet plus grand que nature pose directement une question au spectateur, mais il est difficile de savoir si elle renvoie à la « liberté » que les compagnies pharmaceutiques affirment que leurs produits apportent, à une question politique beaucoup plus vaste sur notre existence en général, ou à quelque chose de plus personnel que les spectateurs sur lequel les spectateurs vont s’interroger.
Je pense que ce sont de bons exemples sur pourquoi la forme et le contexte sont importants à considérer lorsque l’on se penche sur le potentiel de l’art pour transformer radicalement les consciences ou les points de vues d’un auditoire. Dans l’abstrait, l’image d’une feuille est tout sauf radicale, ou même politique, pour ce faire.C’est le comment, le pourquoi et le où de la feuille qui deviennent importants. Dans ces exemples, l’efficacité a demandé que je rejette un contenu anarchiste afin de faire baisser sa garde au spectateur. En outre, situé dans la rue, l’œuvre est gratuite et accessible à tous , mais, ironiquement, cet endroit rend cette forme d’art illégale. Son existence même représente l’évidence que quelqu’un a transcendé les frontières des manières socialement acceptables pour communiquer. Idéalement, cette contradiction devrait soulever des questions assez intéressantes chez le spectateur au sujet de la nature du contrôle, de la communication et de l’espace public.
Comme le mouvement anarchiste dans son ensemble qui crée et recrée des façons toujours plus inventives de collaborer, construire et organiser, les artistes radicaux doivent prendre conscience que leurs efforts sont amoindris si ils travaillent seuls. Je pense que mon travail collaboratif a été plus important même que mon travail individuel. Cela a pris de nombreuses formes. Un exemple en est les série de posters pour Célébrer l’Histoire du Peuple pour laquelle j’ai rassemblé plus de 20 artistes (jusqu’à maintenant) pour créer ds affiches célébrant des moments de l’histoire radicale. Les affiches sont ensuite imprimées et distribuées aussi largement que possible, y compris en étant reproduites dans les rues. Une autre initiative organisée collectivement fut une longue série de manifestations sociales à grande échelle. La première d’entre elles fut une manifestation sur un week-end au Department of Space and Land Reclamation en 2001, encourageant des artistes et des militants à réaliser des projets, revendiquant les rues de Chicago d’une manière ou d’une autre, que ce soit à travers des émissions de radio pirates ou en semant la perturbation dans la principale artère commerciale dans le centre ville. Depuis cet événement initial, j’ai travaillé avec un groupe toujours plus grand d’artistes et de militants pour réaliser un important volume de projets, certains s’attaquant à des problèmes comme la gentrification ou la marchandisation de notre vie quotidienne, d’autres intervenant dans des situations de manifestations plus traditionnelles.
J’ai posé les questions ci-dessus en partie parce qu’elles sont liées à l’évolution de mon propre travail. Je suis sûr que des artistes anti-autoritaires qui travaillent de manière différente soulèveraient des questions différentes. Un dialogue plus public autour de nos questions et problèmes ne peut qu’aider le mouvement dans son ensemble à se développer, et j’aimerais vraiment entendre l’opinion d’autres artistes et militants intéressés pour développer des théories et pratiques plus élaborées autour de la production culturelle anti-autoritaire. Nous devons commencer à partager des idées et à construire des projets nouveaux et exaltant. Je suis certain que cela se passe déjà dans certains endroits et je veux y participer. »
NDT
(1) Voir à ce sujet L’atelier populaire de mai 68 : Présenté par lui même. Usines, universités, union, 1968.
(2) Amílcar Lopes Cabral (1924 – 1973). Fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, assassiné le 20 janvier 1973 à Conakry six mois avant l’indépendance de la Guinée-Bissau. Voir par exemple, Amilcar Cabral Recueil de textes introduit par Carlos Lopes
On peut voir les œuvres de Josh MacPhee sur Justseeds, une coopérative qui réunit une trentaine d’artistes canadien-nes, mexicain-es et américain-es dont il est un membre.
Voir également Interference Archive, site qui explore la relation entre production artistique et mouvements sociaux
- SOURCE : Racines et Branches Un regard libre sur les formes anti-autoritaires d’hier et d’aujourd’hui.
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