1984 : science sans conscience sera ruine de l’homme ?

Publié le par Socialisme libertaire

1984 : science sans conscience sera ruine de l’homme ?
Quelques réflexions sur la science, la technologie, le développement… parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir !

Il faut prévenir les hommes qu’ils sont en danger de mort, la science devient criminelle.

Albert Einstein (1946)

Le ravage de la terre et des mers va de pair avec la prolifération désordonnée des techniques de contrôle social sur les peuples et les individus: autant qu’à maitriser la complexité naturelle, l’ordinateur servira à contrôler la spontanéité et la variété humaines.

Bernard Charbonneau, le Feu Vert (1980)

Le politicien est enchaîné à un parti dont le principe n’a rien à voir avec la liberté et l’égalité. La nécessité d’assurer les campagnes et la propagande électorale, la discipline de vote au parlement, figent les tendances. La démocratie électorale où en droit tout va de la base au sommet fonctionne ainsi à partir d’institutions de fait dont le principe est exactement l’inverse. Comme dans l’armée, un chef et ses lieutenants, recrutés par cooptation ou au suffrage restreint, y commandent une troupe disciplinée dont les militaires sont qualifiés de militants. Et comme l’armée le parti n’a qu’un but : la victoire sur l’ennemi. Pour y arriver, tous les moyens sont bons. Les partis, leurs militants et leur général n’ont qu’une fin : leur moyen. Comme pour le parti rien d’autre n’existe que le parti, celui qui mérite son nom tend à devenir totalitaire.

Bernard Charbonneau, le Feu Vert (1980)

L’informatique, au lieu de permettre une domination sur le système technicien, est entrée dans ce système, en a adopté tous les caractères et n’a fait qu’en renforcer la puissance et l’incohérence des effets. Actuellement, j’estime que la partie est perdue (…) Une fois de plus, la « force des choses » l’a emporté sur la libre décision de l’homme.

Jacques Ellul (1988)

Si la crise énergétique se développe, la pénurie peut paradoxalement pousser au développement. Le pétrole manque ? Il faut multiplier les forages. La terre s’épuise ? Colonisons les mers. L’auto n’a plus d’avenir ? Misons sur l’électronique qui fera faire au peuple des voyages imaginaires. Mais on ne peut reculer indéfiniment pour mieux sauter. Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra plus faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir.

Pour contrôler les dangers de moyens de plus en plus puissants et fragiles parce que complexes, gérer un espace et des ressources qui s’épuisent, prévoir et maîtriser les réactions humaines qui empêcheraient de le faire, on est obligé de renforcer l’organisation. L’éco-fascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints. Déjà commence à se tisser ce filet de règlements assortis d’amendes et de prison qui protégera la nature contre son exploitation incontrôlée. Que faire d’autre ? Ce qui nous attend, comme pendant la seconde guerre totale, c’est probablement un mélange d’organisation technocratique et de retour à l’âge de pierre : les intuitions de la science-fiction risquent d’être plus près de la réalité à venir que la prospective progressiste de M.Fourastié.

Bernard Charbonneau, le Feu Vert (1980)

Il est vain de déblatérer contre le capitalisme : ce n’est pas lui qui crée ce monde, c’est la machine.

Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle (1954)

Je l’ai senti moi-même. Le scintillement des armes nucléaires. Il est irrésistible si vous les approchez comme un scientifique. De sentir que c’est là dans vos mains, de libérer cette énergie qui alimente les étoiles, de la plier à votre volonté. D’exécuter ces miracles, de soulever un million de tonnes de roche dans le ciel. C’est quelque chose qui donne aux gens une illusion de pouvoir illimité et c’est, en quelque sorte, la cause de tous nos ennuis – cela, ce que vous pourriez appeler l’arrogance technique, qui a raison des gens quand ils voient ce qu’ils peuvent faire avec leur esprits

Julius Robert Oppenheimer ( surnommé le « père de la bombe atomique »)

Ce système, qui s’auto-engendre, est aveugle. Il ne sait pas où il va. Il n’a aucun dessein. Il ne cesse de croître, d’artificialiser l’environnement et l’Homme, de nous emmener vers un monde de plus en plus imprévisible, et aliénant.

Jean-Luc Porquet, « Préface » de Jacques Ellul, Le Système technicien (1977)

Dans l’introduction du livre « le Feu Vert » (1980) de Bernard Charbonneau, réédition Paragan 2009, on peut lire, dans la préface de Daniel Cérézuelle:

"Très jeune, Bernard Charbonneau (1910-1996) fut convaincu que son siècle serait celui du saccage de la nature et du totalitarisme. La puissance industrielle qu’il voyait triompher partout sur la planète sous diverses formes de droite ou de gauche prive l’homme non seulement de nature, mais aussi de liberté. Car plus la puissance grandit, plus l’ordre doit être strict. Tout collectif humain tend à se constituer en ce que, dans le livre VIII de La République, Platon appelait « le gros animal » : un être qui réagit plus qu’il ne pense. Le fait de se retrouver ensemble contre peut-il être autre chose qu’un exutoire réconfortant à la difficulté de vivre ? L’entreprise écologique la plus modeste ne demande rien moins qu’à l’homme que de vaincre sa nature, qui est sociale."

« Le gros animal » pour Platon, « le plus froid des monstres froids » pour Nietzsche…

Les évènements actuels confirment ce que Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, comme Nietzsche et Platon avant eux, et d’autres, avaient vu venir, depuis longtemps: les organisations sociales, les collectifs humains trop importants, comme les états-nations de ce 21ème siècle, ont tendance à virer totalitaire, en effet plus la technologie, aux mains d’un petit groupe, d’une élite dirigeante, progresse, plus on semble se rapprocher du roman prophétique de George Orwell, 1984

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Quelques caractéristiques de l’écologisme

Bernard Charbonneau, le Feu Vert (1980)

"La vraie catastrophe, c’est le développement. C’est le point central à quoi tout le reste se ramène, qu’il s’agisse du nucléaire, de la disparition des forêts, du bétonnage des côtes ou de la pollution, etc. Dans le système Sauvy-Debré, il faut de plus en plus de jeunes pour augmenter la production, et de plus en plus de production pour fournir des emplois aux jeunes, il faut encore plus d’actifs pour payer les retraites des vieux, mais comme les jeunes sont de futurs vieux, il faudra… Médor court de plus en plus vite après sa queue. On ne pourra rien faire si l’on se refuse à mettre en cause le mythe du développement indéfini de la production et du rendement, de la multiplication des emplois par le progrès exponentiel de l’industrie. Il vaut mieux parler d’équilibre, terme écologique par excellence. La poursuite d’un équilibre économique est particulièrement urgente après plusieurs décennies de croissance incontrôlée. Une telle politique suppose un équilibre démographique.

Pas de société conviviale sans technique douce, mais pas de technique douce sans science douce. Si l’on veut changer la vie, il ne suffit pas de s’en prendre à l’économie, il faut changer la technique en adoptant des techniques douces et décentralisées. La technique est déterminante dans la société industrielle en la rendant toujours plus massive et centralisée. Toute technique est plus ou moins dure. C’est la prudence et la volonté humaines de ne pas en abuser, l’imagination, qui la rendent douce. En choisissant le train contre l’auto sans mettre en cause le développement, on en arrive à soutenir le TGV, donc un pas de plus vers la destruction de la Bourgogne. Tandis que si l’on pose la vraie question, pourquoi Paris-Lyon en deux heures au lieu de quatre ? la réponse devient très claire. Le soleil photovoltaïque lui-même, dans le cadre du développement, devient technique dure en recouvrant tout un canton d’un linceul funèbre. Et bien entendu cette technique plus ou moins concentrée tombera aux mains des trusts ou de l’État. D’ailleurs cela commence. Un bon usage de la science et de la technique suppose un renversement copernicien : créer les moyens de sa société au lieu de la société de ses moyens.

La protection de la nature, de la variété et de la liberté humaines ne sera assurée que si l’on dissocie l’économie nationale ou multinationale en petites unités autarciques et autogérées. Cet éclatement contribuerait à diminuer la pression d’un marché de taille planétaire tout en atténuant l’une des plaies de la société industrielle : le Transport, l’une des principales causes de destruction de la nature et des sociétés. Mais l’on retombe alors dans les problèmes des sociétés locales. Certains intégristes de la nature prennent volontiers pour modèle les sociétés rurales traditionnelles. Mais il suffit d’être assez vieux pour savoir que les vertus de la tribu catholique bretonne ou basque – menée par ses notables et son curé – étaient payées d’un pesant conformisme doublé d’hypocrisie. L’autre critique que l’on peut faire aux fondateurs de communautés, outre leurs illusions sur la vie rurale, c’est que la campagne française n’est pas le Far West de l’époque des phalanstères : cet espace désertifié par les technocrates est quadrillé par les pouvoirs des administrations et des SAFER. Bientôt pour faire la Révolution, il faudra demander des subventions.

On en revient toujours à la véritable raison d’être du mouvement écologique : non pas établir le paradis sur terre, mais y éviter l’enfer. L’écologie est implacable, elle vous mène jusqu’aux questions finales concernant le sens de la vie et le contrat social. Rappelons le principe : small is beautiful. Cela implique non seulement la priorité de la personne sur le groupe mais aussi celle de la petite société sur la grande. Parce que celle-ci est plus proche de son environnement, sa gestion sera plus simple et les rapports interpersonnels plus faciles. Si la révolution écologique ne change pas le microcosme personnel ou social, elle ne changera rien au macrocosme."

1984 : science sans conscience sera ruine de l’homme ?
1984 : science sans conscience sera ruine de l’homme ?
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