★ LES RELIGIONS

Publié le par Socialisme libertaire

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Photographie d'identité judiciaire de Charles Malato (vers 1894).

 

★ Charles Malato : Les Religions (1893)  
 

« La terreur enfanta les premiers dieux », a dit un poète latin. 

« Oui, Très-Saint Père qui, représentant du va-nu-pieds Jésus, donnez modestement votre mule à baiser, si de navrants imbéciles se prosternent ainsi devant vos sacrés orteils, c’est parce qu’un beau jour, le singe dégrossi qui fut notre ancêtre, eut par trop peur du tonnerre : de cette peur, l’idée religieuse naquit.

Il n’y a que les esprits les plus incultes qui puissent encore s’imaginer les religions créées tout d’une pièce. Les générations spontanées, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, sont beaucoup plus rares qu’on ne croit. Il faut, pour que l’éclosion ait lieu, que tous les éléments constitutifs se soient eux-mêmes développés, rapprochés et combinés. L’observateur superficiel, seul, peut croire que ça se fait tout d’un coup : en réalité, une religion, pas plus qu’un homme, ne se façonne en cinq minutes.

Combien ils durent frissonner nos primitifs ancêtres ! Tout leur était mystère et hostilité : la foudre, le cyclone, la neige, la tempête, l’épidémie, les monstres, grandis par l’imagination, qui sortaient de leurs retraites pour livrer bataille à l’homme ! Toutes ces forces inhérentes à l’éternelle matière, tous ces êtres redoutables, leur parurent supérieurs à eux, pauvres animaux nus et ignorants, tous devinrent des dieux qu’ils cherchèrent à fléchir, auxquels ils prêtèrent leurs passions, avec lesquels ils tentèrent d’entrer en pourparlers. Et pour réussir en semblable occurrence, le meilleur procédé ne fut-il pas de présenter des cadeaux ? Les premiers croyants offrirent tout naturellement à leurs divinités ce qu’eux-mêmes aimaient : des fruits, des fleurs, les produits de leur chasse ou de leurs récoltes, - origine du culte, champ immense ouvert à l’exploitation des crédules par les fourbes. Survinrent les gens imaginatifs, les poètes, les faux savants qui prétendirent en savoir plus long que les autres, les roués qui voulaient tirer parti de la situation, et tous ajoutèrent de nouvelles légendes aux légendes et codifièrent la superstition. Ils créaient ainsi, à côté des monarques et des chefs guerriers, une autorité infiniment plus redoutable, car celle-ci prenait sa source dans le ciel, c’est-à-dire dans l’inconnu, le tout-puissant mystérieux.

Voilà l’humanité lancée sur la route du merveilleux : où s’arrêtera-t-elle ? Tandis que les plus arriérés s’attardent au fétichisme, à l’adoration de la matière brute, les autres subtilisent leurs cosmogonies. Les Perses établissent tout un système sur le dualisme apparent qui se manifeste dans la nature : Oromaze-lumière et Ahrimane-ténèbres se livrent un combat incessant.

L’Égypte divinise son Nil et, ébauchant la science astronomique, en tire les éléments de sa mythologie. Partout aussi le climat, le milieu, la race, influent sur le développement, sur la forme de l’idée religieuse. L’homme n’a pas été créé à l’image de Dieu : il a créé lui même ses dieux. Les Grecs, peuple d’artistes, assis au bord des flots de la Méditerranée, déifient leurs rivages, leurs montagnes, leurs bois de lauriers, leurs sources chantantes : ils élèvent un temple à la nature aimable. Tout au contraire, les Sémites, errant dans les déserts mornes, vivant sous un ciel sans cesse fulgurant, se font un Jéhovah menaçant, toujours prompt à châtier et ce ne fut qu’après la conquête macédonienne, lorsque les Grecs d’Alexandre importèrent en Judée des bribes d’idées platoniciennes, qu’une fusion commença à s’opérer entre ces deux croyances si opposées : de cette fusion, naquit la religion chrétienne. Les révoltes sociales de Juda le Gaulonite, de Mathias et, plus tard, de Joseph Gorionide sont étouffées en Palestine par les généraux romains, mais quelque chose survit : une idée de réforme qui souffle sur le vieux monde. La rénovation, non plus symbolique mais effective eût pu en sortir. Les premiers chrétiens, novateurs révolutionnaires, avaient proclamé l’égalité humaine. Conséquents, les disciples qui se réclamaient d’eux, eussent dû prêcher, toujours et quand même, la sainte insurrection contre les puissants. Quelques-uns le firent, mais, après la destruction de Jérusalem, leurs successeurs tremblèrent de regarder en face la puissance des Césars, murmurèrent le mot opportuniste : « Mon royaume n’est pas de ce monde », se firent petits petits, et protestèrent de leur soumission. Cependant, il fallut bien faire quelque chose, donner un aliment au zèle des fidèles, sous peine de se voir entraînés par eux dans quelque mouvement compromettant, comme celui des Bagaudes au troisième siècle. Les évêques abandonnant toute revendication sociale, se jetèrent à plein corps dans la théologie, grisant de leur casuistique les troupeaux naïfs. En même temps, ils intriguaient auprès des empereurs, se faufilaient dans leur palais, au Sénat, aux fonctions publiques. Ces descendant de communistes-anarchistes étaient devenus d’habiles assoiffés de domination, lorsque Constantin, comprenant toute l’aide qu’ils pourraient lui donner, les appela à lui. Leur avènement eut lieu : du coup, ces réformateurs se firent gardiens inflexibles du vieil ordre de choses : volte-face habituelle à tous les parvenus, hommes et partis.

Tel est, en quelques lignes, l’historique résumé du mouvement chrétien, depuis son origine apparente jusqu’au moment du triomphe. Jésus, en tenant compte de son existence dépouillée des côtés miraculeux, fut moins l’initiateur ou le chef que le poète, poète populaire et en prose, poète en paraboles, dont le souvenir resta parce qu’il s’adressa au sentiment plus qu’à l’esprit, et eut avec lui la foule et les femmes.

Paul, qui vint après lui, eut un rôle bien autrement effectif comme fondateur et organisateur de l’Eglise. Sous son impulsion, les premières communautés de fidèles se formèrent, dressant elles-mêmes leurs statuts, élisant leurs pasteurs, s’efforçant de rayonner sur le monde profane et d’y pénétrer. Comment cette organisation démocratique au début, arriva-t-elle à se transformer en la plus tyrannique des autocraties ? Ce fut l’œuvre des siècles et aussi des circonstances, non moins que de l’ambition tenace des évêques latins, plus rapprochés que les autres du spectacle de la puissance impériale et, par cela même, plus vite corrompus.

Constantin ayant appelé à lui les chefs de l’Eglise, ceux-ci étalent leur triomphe au concile de Nicée où ils fixent les bases de la foi que le monde devra subir. On sait la suite : les empereurs abandonnant de plus en plus l’Occident sous la poussée des barbares, les évêques romains finirent par prendre leur place et devenir maîtres temporels autant que spirituels.

Cela dura onze siècles : pendant onze siècles, on fut tenu de croire même l’absurde, surtout l’absurde, credo quia absurdum, pendant onze siècles il y eut des hommes grillés, noyés, pendus, torturés pour crime de pensée ou de simple doute. Et, quand le sentiment populaire menace de se révolter, vite une diversion : Sus aux Juifs ! ce sont eux qui répandent les épidémies ! Sus aux Musulmans ! Dieu le veut ! Ces mécréants se permettent de vivre chez eux, à leur guise, sans en demander la permission au pape ! Et les déshérités s’empressent de reforger leurs chaînes.

Contre ce christianisme papal, le christianisme populaire, celui qui avait donné naissance aux révoltes de Juda le Gaulonite et des Bagaudes finit pourtant par faire explosion. Les anarchistes albigeois. - car la tendance, sinon la conception anarchiste, est vieille comme le monde, - massacrés au treizième siècle, trouvent des vengeurs dans les pays allemands. Tandis que les princes et les bourgeois suivent Luther dans sa révolte contre Rome, réclamant certaines libertés, les déshérités qui, eux, revendiquent toutes les libertés parce qu’ils n’en jouissent d’aucune, font, avec Stork et Münzer, une guerre à mort aux couvents et aux châteaux. Écrasés à Frankhausen, ils renaissent à Munster et, bien que vaincus encore, ils jettent au vent de l’avenir des germes d’idées républicaines et communistes.

Ces enragés jouèrent le même rôle que les Hébertistes qui, deux cent soixante ans plus tard, poussaient par les épaules les Conventionnels hésitants. Sans eux, la Réforme n’eût pu s’effectuer : elle eût capitulé tout de suite devant Rome. Il l’en empêchèrent et c’est ce qui leur attira la haine de Luther et de Mélanchton, lesquels, effrayés de la tâche qu’ils avaient entreprise, songeaient déjà à entrer en pourparlers avec l’ennemi. Ils entrevirent enfin, et c’est leur grand honneur, non point une simple refonte religieuse, mais toute une rénovation humaine et sociale.

Depuis le XVI° siècle, l’Église tronçonnée a perdu de sa puissance, malgré l’invisible protection qu’étend autour d’elle le Gesù. Elle a la vie dure, cependant, et ne cède le terrain que pied à pied, effectuant souvent des retours offensifs terribles : la révolution la chasse et elle revient ; l’Empire la domestique et elle le blesse au talon ; la sociale menace de l’engloutir, et elle s’efforce de faire dévier la sociale, contre laquelle elle ne peut lutter de front.

Nous en sommes là, actuellement : une formidable embûche est tendue à l’esprit moderne. Les champions de la Papauté, déguisés en socialistes chrétiens et en anti-sémites, savent que l’immense masse, dégoûtée des vieux Crédos, ne s’est cependant pas encore assimilé toute philosophie positive. Ils savent que l’esprit humain, en quête du merveilleux, est facile à égarer, que des siècles d’atavisme pèsent lourdement sur nous et, décidés à profiter de toutes occasions pour redonner vie à l’idée religieuse, ils nous guettent en élèves de Loyola. A nous de pénétrer leurs desseins et contre l’ennemi masqué de lutter sans trêve pour l’émancipation intellectuelle et matérielle de l’humanité ! »,
 

Charles Malato, in La Plume n° 97 - 1er mai 1893

 

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"La Plume", numéro consacré à L’Anarchisme, n°97 - 1er mai 1893.

"La Plume", numéro consacré à L’Anarchisme, n°97 - 1er mai 1893.

 

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