★ Théorie du complot et démobilisation sociale

Publié le par Socialisme libertaire

 

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Peinture de Paweł Kuczyński.

 

« Certes, nous avons tous lu ou entendu parler de théories du complot à un moment donné de notre existence, et elles nous ont peut-être parues plus ou moins séduisantes, ou carrément aberrantes. Lorsque de graves cataclysmes mondiaux se produisent, tels des pandémies biologiques comme celle en cours, ou d’attentats violents... ce sont des moments où quantité de ces théories émerge. Dans cet article, ce que nous voulons, c’est précisément analyser le contenu qui les sous-tend et le peu de pragmatisme politique que cela implique en nous laissant attirer sur ce type de questionnement. Il convient de ne pas confondre le folklore et la culture populaire, foisonnantes dans les domaines anthropologiques et sociaux, avec la construction d’une réalité de la lutte efficace pour ceux d’entre nous qui souffrons des conséquences du système de pouvoir actuel.

Les théories du complot se réfèrent généralement à la tentative d’expliquer un événement ou une succession de faits, déjà survenus ou à venir, souvent d’une grande importance socio-économique ou politique, à travers l’existence d’un groupe secret très puissant, qui fraye ses stratégies principales de manière malveillante. Il n’est pas nécessaire d’expliquer que, généralement, les stratégies mises en place par le pouvoir pour maintenir l’état des choses telles qu’elles sont, c’est-à-dire les actions politiques plus ou moins ouvertement communiquées, sont notre pain quotidien dans l’analyse de la fonction coercitive du pouvoir. Par conséquent, la définition des théories du complot ne refléterait que le processus habituel du système politique et social et les tactiques utilisées par les institutions mondiales, créées pour défendre les intérêts du système dominant. Ces questions ne sont pas déterminées par des plans top secrets d’un seul petit groupe de pervers éclairés, mais sont la conséquence logique de la fonction sociale des catégories du pouvoir.

Certes, la dénomination est déjà en soi un choix péjoratif, mais qui plus est ce concept a été construit sur une idée déformante qui, loin de vouloir refléter une lutte de classe et une prise de conscience de la réalité sociale par les travailleurs, favorise au contraire la confusion et tire même vers des conclusions très éloignées de la réalité quotidienne que nous vivons la plupart du temps. Et ce qui est plus grave encore, il enchaîne toute argumentation scientifique et sociale des classes populaires à de simples hypothèses liées au champ de la superstition et de l’ésotérisme.

Si seulement tout commençait et finissait là, cependant, la culture et l’imaginaire créés autour de cette question des théories du complot vont bien au-delà de ce simple éclairage. Dans de nombreuses organisations politiques de gauche, comme dans le domaine de l’activisme, il y a une fétichisation des théories du complot susmentionnées. Le postulat général des théories du complot est que les événements importants de l’histoire sont contrôlé par des groupes manipulateurs qui organisent ces événements en coulisses avec des motivations désastreuses. Il n’est pas surprenant que dans l’histoire de l’humanité les stratégies pour maintenir le contrôle social soient menées dans le dos même de la société qu’elles sont censées contrôler, ce n’est pas une conspiration, c’est une tactique logique du pouvoir pour rester à sa place dominante de sauvegarde du système.

Aucun récit historique ou social des classes les plus défavorisées ne se retrouvera dans les livres d’histoire officiels, ils sont toujours écrit par le pouvoir en place, chose très facile à comprendre en anthropologie ou sociologie. Le folklore particulier des communautés sociales génère toujours des contes, des histoires et des récits qui établissent des légendes populaires, presque inexorablement liées à la culture orale, bien sûr, car rien de plus populaire que l’oralité. Et bien on trouve des exemples qui peuvent armer les classes populaires lorsque ces inventions servent à attaquer la classe dirigeante, comme dans les cas historiques de personnages imaginaires tels que Ned Ludd ou Captain Swing (bouleversements dans la technique des machines et dans le domaine agricole de l’Angleterre industrielle).

Cependant, lorsque ces théories du complot sont assimilées et utilisées intelligemment par le pouvoir, elles deviennent un discours démobilisateur que nous devons savoir discerner. En effet, au cours de l’histoire, il y a déjà eu des cas très évidents de cette utilisation au profit du pouvoir, comme, par exemple, les théories contre les sorcières ou les Juifs, tant répandues par le passé comme d’authentiques complots qui ont déterminé l’imaginaire et les actions dans la société pour en avoir un contrôle strict.

L’une des clés de toute théorie du complot est de contenir des traces de réalité. Laissez-le reposer sur de solides piliers, pour tisser entre eux un réseau de fables qui résoudrait des questions non élucidées ou masquerait des réalités inconfortables. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître au premier abord : si l’ensemble offrent des réponses simples et désignent un bouc émissaire pour tous les problèmes, l’objectif sera atteint.

Certaines des caractéristiques communes de ces théories du complot sont que les apparences sont trompeuses, tout en essayant d’établir de nombreuses explications trop étranges sur la science. Ces complots mènent l’histoire comme si un ordre divin avait écrit l’avenir. Et surtout, deux facteurs qui sont sûrement les plus démobilisant de tous ces enjeux ; l’ennemi gagne toujours, les pauvres perdent à chaque fois, et tout est planifié ou inamovible.

Si en donnant du crédit à ces théories, cela laisse supposer qu’il n’y a pas de vérités, que tout est déjà planifié et que l’histoire a déjà un destin écrit par des groupes secrets, alors nous supposons indirectement qu’aucun type d’organisation populaire ne peut ouvrir une brèche, qu’aucun type de d’action spontanée ne peut briser les stratégies du pouvoir, et que notre vie quotidienne n’a pas de sens car nous ne reproduisons qu’un schéma préalablement écrit.

Refuser de considérer cela implique d'avoir confiance en l’organisation, la pensée critique et la conscience des travailleurs comme la voie vers la conquête d’une liberté sociale aliénée par le capitalisme actuel. Il est tout à fait légitime que nous soyons attirés par les histoires de fictions littéraires, de sociétés secrètes et de récits dystopiques, mais cela ne signifie pas que nous devons construire nos vies selon ces schémas fictifs. Cela fait encore plus mal lorsque le postulat de ces histoires se distingue incroyablement dans l’activisme de gauche et que nous voyons alors les dystopies hollywoodiennes gagner la bataille culturelle. » 


★ Traduction de l'article "Teorías de la conspiración y desmovilización social: venta de humo por metro cúbicode" de la revue espagnole Todo Por Hacer (Publicación Anarquista)

 

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