L’urgence à soutenir l’opposition en Israël comme en Turquie

Publié le par Socialisme libertaire

Israël


Article paru sur le site de Kedistan, le 01/06/2017.  

Plus que jamais, il nous faut d’urgence des rencontres, débats et projets communs réunissant les opposants aux gouvernements belliqueux et hyper-militaristes au Moyen-Orient. 

En Israël comme en Turquie, il est urgent de soutenir les opposants qui sont les seuls à pouvoir poser les bases d’une paix démocratique dans la région. 


Revenant d’un voyage en Israël et en Palestine, on ne peut que partager le désespoir des Palestiniens et le découragement des opposants israéliens de gauche devant cette politique monolithique du gouvernement de Netanyahu (et de ces prédécesseurs) à maintenir cette occupation aussi cruelle qu’insensée des territoires palestiniens au nom d’un principe de défense, légitimé spirituellement (sinon historiquement) par une folle vision mystico-religieuse.

En France, peut-être plus qu’ailleurs, le soutien de la Palestine est ancré dans les mœurs de toutes les gauches ainsi que la bien-pensance bobo, ce qui fait qu’on est plutôt bien vu à Ramallah. Comment cette sympathie s’exprime-t-elle ? Par des manifestations sujettes à des dérapages, des rencontres entre adhérents d’avance d’accord entre eux, un boycott sélectif des produits israéliens, (non au houmous de supermarché, oui aux munitions, à l’électronique). Le BDS , force est de constater, ne semble ni avoir appauvri Israël, ni assisté les Palestiniens. Ajouter à cela des colloques ou meetings souvent mal préparés qui se terminent en échanges d’insultes, par manque de débat réellement contradictoire où des arguments opposés auraient dû se confronter dans une écoute respectueuse. Une simplification imbécile voudrait considérer Israël en double de l’Afrique du Sud, mais Mahmoud Abbas n’a rien d’un Mandela, le Hamas et le Hezbollah ne sauraient se comparer à l’ANC. De plus, dans la moindre altercation, on bute fatalement sur l’association antisionisme- antisémitisme que craignent tant les institutions juives officielles telles que le CRIF, mais qui finit par avoir une réalité auprès de certains passionnés qui reprennent, sans s’en rendre compte, des arguments anciens du complot juif mondial tiré du célèbre faux rédigé par l’Okhrana, les services secrets de la Russie tsariste en 1901, Les Protocoles des Sages de Sion, par ailleurs traduits en arabe et souvent considérés comme authentiques. La réaction à toute attaque visant le peuple israélien est pourtant trop souvent assimilée par des politiciens à une nouvelle tentation d’extermination totale. Peut-on parler, comme l’a fait l’historien américain Norman Finkelstein controversé, d’une certaine exploitation de la Shoah comme arme idéologique autorisant des abus préventifs contre les Palestiniens considérés une menace perpétuelle ? En tout cas, des survivants de la Shoah ont manifesté contre de pareilles manipulations au moment de la campagne contre Gaza.

Et pourtant, ce n’est pas en Palestine que l’on rencontre de pareilles manifestations anti-juives, même si cet apartheid entre populations palestiniennes de la Cisjordanie occupée et Israël fait de sorte que les seuls Juifs que les premières rencontrent sont des militaires ultra-armés et ceux qu’ils protègent, des colons religieux, vivant dans un confort inconnu de l’autre côté. Et quelques intellectuel.l.e.s juifs de la diaspora venus manifester leur soutien. Idem pour les jeunes soldat.e.s israéliens effectuant leur service militaire : pendant trois ans de leur vie (deux pour les filles), les Palestiniens sont présentés comme l’ennemi irréductible, la menace permanente avec lesquels toute discussion est impossible. Une issue est-elle même imaginable ?

Emportant avec moi l’excellent essai d’Anne Brunswic Bienvenue en Palestine, chroniques d’une saison à Ramallah, force est de constater que la situation n’a pas changé depuis sa parution en 2004, si ce n’est que le désespoir et l’exaspération n’ont fait qu’empirer et s’exacerber. De plus, les Israéliens ne peuvent plus se rendre en Cisjordanie, ce qui les prive d’une expérience en direct des douloureuses injustices du quotidien, en particulier des innommables check points, où règne l’arbitraire dans toute sa férocité, même si ces réalités sont accessibles dans un bon nombre de films israéliens et médias locaux nullement censurés. Il est facile d’oublier la guerre dans un de ces restaurants bondés en bord de mer  à Jaffa. Rien de plus différent que l’ambiance sordide de la Cisjordanie occupée, cernée de tout côté par des murs de béton, des miradors, les bâtisses proprettes des colonies, fournies, elles, en permanence en eau et électricité. Entre la perte de confiance totale envers l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas, perçu comme un régime façon Vichy, de plus corrompu jusqu’à la moelle, un soutien mitigé à Hamas et le refus endurci de tout ce qui vient d’Israël, la situation est réellement désolante, mais aussi explosive. Les Israéliens bercés au credo sioniste ultranationaliste, faussement rassurés par le blindage militaire sécuritaire, peuvent se boucher les oreilles et se bander les yeux, ils vivent à côté d’une bombe à retardement.

En vue de l’inefficacité des réactions européennes finalement gentillettes, dont le boycott BDS semble être le plus virulent, faut-il se résigner à attendre le pire, autrement dit l’explosion sous forme d’une guerre encore plus violente que les précédentes qui entraînerait le reste de la planète dans son sillage ? Il n’est pas sûr que la population palestinienne démocratique en sorte gagnante.

Les solutions ne viendront pas de l’extérieur : c’est aux Palestiniens de décider de leur sort, en dehors de l’ingérence néo-coloniale des grandes puissances. Il en est de même pour la population israélienne dont il faut aider et encourager les opposants aux gouvernements au pouvoir, d’autant qu’ils sont les seuls à dialoguer avec les Palestiniens. Ces contestataires, qui certes ne constituent qu’une minorité, sont en partie représentés à la Knesset par un petit parti politique d’extrême gauche, Meretz. Créés dans le sillage des ONG d’opposition connues et déjà anciennes comme La Paix Maintenant Femmes en Noir,  il existe actuellement une foule d’associations citoyennes et militantes très actives, et au moins une université où de véritables discussions sur les sujets les plus épineux sont non seulement possibles, mais encouragées, l’université Ben-Gurion à Beersheva. Entre autres, B’Tselem , centre unique d’information sur les droits humains dans les territoires occupés, Breaking the Silence , une organisation de vétérans de l’armée israélienne qui témoignent contre l’occupation, the Parents’ Circle qui réunit des familles palestiniennes et israéliennes ayant perdu des enfants, Combatants for Peace qui rassemble des anciens combattants israéliens et palestiniens, y compris dans des actions de non-violence telles que le camp collectif de Sumud, démoli par l’armée israélienne. Ce sont ces opposants qui se sont érigés courageusement contre le raz de marée nationaliste haineux lors de la ‘Journée de Jérusalem’ de la semaine dernière qui célébrait le cinquantenaire de la conquête de la ville dite sainte, à la suite de la Guerre des Six Jours de 1967.

Ces groupes sont unis par des revendications quasiment consensuelles : retour aux frontières d’avant 1967, démantèlement de toutes les colonies, la vieille ville de Jérusalem rendue à un futur état palestinien, droit de retour symbolique des Palestiniens, au moins une compensation pour la perte des territoires et reconnaissance de la responsabilité d’Israël. Un bon nombre d’entre eux s’insurgent contre le cadre théocratique sur lequel le pays est fondé (comme l’Iran d’ailleurs) et questionnent la légitimité du projet sioniste lui-même. Certes, il y a des contradictions, des incohérences, trahissant des restes, parfois, d’une mentalité néo-coloniale en objectivant l’autre, mais c’est justement une raison pour encourager le débat, l’auto-critique et un lien actif avec des militants palestiniens alliés, œuvrant dans la même direction.

Pour soutenir efficacement le peuple palestinien, il faut contribuer à démonter les rouages de leur oppression en agissant aux côtés de ceux qui l’opposent de l’intérieur, à savoir dans le pays colonisateur, même si ceux-ci ne constituent qu’une petite minorité de la population. Ce n’est pas pour rien qu’Erdogan se soit débarrassé en priorité de son opposition en Turquie.

En Israël, la solution de deux états fait ici consensus chez les opposants, mais aussi de plus en plus dans la population, lasse des décennies de guerre et d’insécurité. Pour certains, le déséquilibre évident de cette proposition doit n’en faire qu’une mesure temporaire en attendant, à long terme, la création d’un seul état israélo-palestinien. Pour d’autres, les haines accumulées ne mèneraient qu’à une guerre civile des plus féroces, comme au Liban en pire .

En tous cas, la solution ne se trouve ni dans la destruction de l’État d’Israël ni dans le refus d’une patrie palestinienne. Dans un cas comme dans l’autre, presque trois générations ont grandi avec une notion identitaire qui s’est aiguisée au cours des années, à savoir l’appartenance à une histoire nationale et un destin personnel qui s’expriment par une appartenance collective. Mais comment réconcilier ces histoires croisées sans tomber dans le travers du militantisme nationaliste et guerrier, question que se posait déjà autrefois le grand historien palestinien, Edward Saïd. Le nationalisme est devenue une option personnelle aujourd’hui chez tant de jeunes, y compris en Europe de l’Est et au Moyen-Orient, ce qui sert à normaliser l’intolérance et une réécriture opportuniste du passé.

La situation israélo-palestinienne n’est pas sans rappeler celle de la Turquie, même si les drapeaux turcs décorant des échoppes de Ramallah (à cause du soutien apporté par Erdogan au Hamas) trahissent une absence de prise conscience comparative : les Kurdes à l’heure actuelle vivent une situation qui invite une comparaison avec celle des Palestiniens, et le comportement de Netanyahu, toutes proportions gardées, se rapproche par certains aspects de celui Erdogan, devenu aujourd’hui dictateur nationaliste, s’appuyant sur la religion. D’un côté comme de l’autre, l’opposition laïque est discréditée  et en Turquie, pire encore, systématiquement persécutée et emprisonnée, en particulier le HDP pro-Kurde qui réunit les suffrages des minorités turques, y compris les Arméniens et les Juifs. En Turquie, tout vestige d’un état démocratique a disparu à partir de la levée de l’immunité parlementaire des députés visés par des procédures judiciaires, en particulier celles concernant le soutien au PKK et aux groupes pro-kurdes

Israël a failli connaître un sort comparable quand les partis de droite ont voulu lever l’immunité des parlementaires arabes.  La mesure a été stoppée et il reste encore, pour le moment, un espace démocratique en Israël, unique dans la région, dont il faut profiter pour soutenir les opposants et les contestataires avant qu’ils ne soient éliminés pour laisser le champ libre à la domination totale d’une droite répressive, ultra-militarisée.

Plus que jamais, des rencontres, débats, colloques et projets communs réunissant Palestiniens et Israéliens de gauche sont urgents pour contrer les velléités d’un gouvernement en train de virer à l’extrémisme. Tout comme ceux qui se tiennent actuellement avec des dissidents turcs exilés et des militants kurdes. Le boycott des universités israéliennes ne sert que la droite et le pouvoir, il faut garder le contact avec ceux qui peuvent encore réfléchir et exercer leur influence. De même que les universitaires turcs dissidents, les membres du HDP et les partis kurdes démocratiques en Turquie comme au Rojava ont besoin de notre soutien contre la peste quasiment brune qui s’étend sur le pays. Ensemble, ces opposants turcs et israéliens, surtout ceux de la jeune génération à la recherche de véritables alternatives, sont les seuls à pouvoir éteindre l’incendie qui menace la région.


Carol Mann.
Auteure invitée de Kedistan, sociologue et historienne, spécialisée dans l’étude du genre et conflit armé, chercheure associée au L.E.G.S. à Paris-8, directrice de l’association “Women in War” www.womeninwar.org.
Dernier ouvrage publié “De la burqa afghane à la hijabista mondialisée”, l’Harmattan, 2017.

Article re-publié à partir de son blog Médiapart.
 

L’urgence à soutenir l’opposition en Israël comme en Turquie
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