Extinction de l’espèce humaine - le suicide de la civilisation industrielle

Publié le par Socialisme libertaire

écologie industrialisme


Nous vous proposons, dans cet article, la traduction de deux interviews de Guy McPherson, ainsi que d’un de ses articles.
 

Première interview
 

Que diriez-vous à ceux qui ne voient pas de preuve concluante du rôle humain dans le changement climatique, afin de les convaincre ?

Je ne réponds pas à une telle ignorance. Les preuves démontrant le changement anthropique du climat sont accablantes, et elles ont été présentées par de nombreuses personnes utilisant différents vecteurs d’information. Si malgré ça vous n’admettez pas l’évidence, il n’y a rien que je puisse faire ou dire qui vous fasse changer d’avis.

Ces pratiques non durables débutent-elles avec la civilisation et l’agriculture ?

Oui, je crois que la civilisation est à la racine de nos innombrables problèmes. C’est la capacité et la volonté de cultiver une nourriture entreposable (par exemple, les céréales) qui caractérise la civilisation. Le contrôle des aliments permet le contrôle des personnes. Avec la conservation des aliments, une population humaine excédentaire devient possible.

Pouvons-nous en sortir avec les solutions proposées par l’État ?

Tim Garrett a publié une excellente étude scientifique, dans laquelle il présente la civilisation comme un moteur thermique. Il n’y a aucune solution d’État. En outre, il n’y a pas de solution. Le changement anthropique du climat est un péril, et non un problème. Couper le moteur thermique de la civilisation est le seul moyen de stopper la surchauffe planétaire.

Extinction de l’espèce humaine - le suicide de la civilisation industrielle

Que pensez-vous des primitivistes ?

Les primitivistes sont des personnes. Par conséquent, je les honore et je les respecte.

Que vous suggère l’éco-blanchiment (Greenwashing) ?

La plupart des « solutions » que l’on entend généralement relèvent de l’éco blanchiment. J’ai un autre mot pour le définir : le mensonge. Vous pourriez préférer le terme de propagande. Edward Bernays serait flatté de voir toute la continuation de cette campagne pour que les gens restent satisfaits d’eux-mêmes.

Face à cette réalité, comment faire le deuil ?

Reconnaitre le deuil permet d’en guérir. Quand vous avez un éclat d’obus profondément ancré dans votre hanche, et qu’il cause des douleurs pendant de nombreuses années, il n’y a qu’une solution garantie à long terme: s’introduire, extraire le morceau et nettoyer la plaie. Le même concept s’applique pour une douleur émotionnelle plutôt que physique. La plaie à nettoyer, dans notre cas, c’est plutôt le cœur que la hanche.

Pourriez-vous comparer « Oubliez les douches courtes » de Derrick Jensen à « Une vérité qui dérange » d’Al Gore?

Le brillant essai de Jensen démontre que préserver ne nous sauvera pas du péril. Al Gore approche le problème sous un mauvais angle, lorsqu’il prône la préservation comme une solution. Les arguments scientifiques d’Al Gore étaient largement corrects pour l’époque, mais ses « solutions » sont, pour la plupart, des exemples d’éco-blanchiment.

On voit les mouvements indigènes, à l’instar de l’ELF, employer des tactiques de sabotage et de résistance. Est-ce que vous soutenez ces actions?

Je soutiens l’organisme planétaire. Je soutiens les indigènes, humains, ainsi que les espèces non-humaines. Je soutiens l’épanouissement des idées, y compris des tactiques, qui aménagent un soutien durable pour les indigènes, humains, et autres organismes. Je n’ai encore jamais participé à la destruction de barrages, ou de quelque autre infrastructure majeure conçue pour le maintien de cette civilisation et par conséquent, détruire l’organisme planétaire. Je respecte et j’honore ceux qui ont le courage de franchir ce pas, comme « Idle No More ».

Que conseilleriez-vous aux jeunes militants pour lutter efficacement contre l’apathie et l’épuisement ?

Faites ce que vous aimez, aussi longtemps que vous le pouvez. Si vous n’aimez pas ce vous faites, arrêtez de le faire.

Que pensez-vous du Parti écologiste des États-Unis ?

Le Parti Vert États-unien reste un parti politique: Il représente un moindre mal, peut-être, mais lorsque l’on considère l’organisme planétaire, un parti, en tant que rouage de la civilisation, ne peut être que destructeur.

Que répondez-vous à ceux qui disent qu’on ne pourra renoncer à la civilisation qu’au prix de millions voire de milliards de morts, et que personne ne devrait avoir à prendre ce genre de décisions ?

La civilisation détruit tout le vivant de cette planète, y compris l’habitat de l’être humain. Perpétuer la civilisation industrielle, c’est perpétuer une secte véritablement mortifère. Chaque jour, nous explosons les records de surpopulation et pourtant, mettre un terme à la civilisation apparait comme une chose immorale. Cette même civilisation, qui pollue l’eau, empoisonne l’air, draine les terres jusqu’aux océans, est systématiquement déclarée intouchable et globalement positive par la quasi-totalité des participants au débat. Lorsque cette civilisation sera confrontée à son échec — nous savons que toutes les civilisations finissent par s’éteindre — beaucoup y perdront la vie. Imaginons qu’elle s’écroule dès demain, et l’on comprend que les pertes en vies humaines auraient été moindres si la civilisation industrielle s’était écroulée il y a 40 ans. Ce même raisonnement est valable pour les 40 prochaines années. Conserver ce confort de vie, tel qu’il est aménagé, est impossible.

Comment votre intérêt pour l’environnement est-il né ?

J’ai passé une grande partie de mon enfance à l’extérieur sans aucune surveillance. Plus tard, j’ai financé mes études universitaires en combattant les incendies de forêt. Je pense que ces deux expériences ont réveillé ma passion pour l’environnement naturel. Ce besoin de vivre à l’extérieur ne m’a jamais quitté. Pendant plusieurs dizaines d’années, j’ai effectué des recherches de terrain en tant que biologiste, pour la conservation. Je suis à l’aise dehors.

Comment vos collègues perçoivent ils votre travail, et particulièrement ceux qui prônent l’ingénierie ou la technologie comme solutions ?

Je n’ai plus de contact avec mes anciens collègues qui, pour la plupart, considèrent que je suis fou. Je n’ai jamais vraiment échangé avec les techno-utopistes, et je n’en connais aucun qui aborde le sujet d’une extinction humaine comme proche conséquence d’un changement climatique soudain.

Au sujet de Ted Kaczynski et John Zerzan, quel est votre ressenti ?

Tous deux véhiculent de grandes idées. Le problème c’est qu’il n’y a pas, à l’échelle globale, de mouvement ou de gouvernance qui nous mèneraient vers des aménagements de vie plus sains. C’est probablement très frustrant pour eux.

Comment amorcer une révolution qui aboutisse ?

Toutes les révolutions ont échoué, et je ne vois pas la prochaine réussir. Quoi qu’il en soit, nous sommes à court de temps pour sauver notre espèce.

Que pensez-vous des tendances sectaires ?

On m’a accusé d’être un peu bouddhiste, Je prends ça comme un compliment. Je suis fan de la modération.

Avez-vous des recommandations de lecture ou un dernier mot pour la fin ?

Il est tard, plus que ce que la plupart des gens imaginent. La culture dominante nous garde pieds et poings liés. Il est temps de briser les chaînes, il est temps de vivre.

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DEUXIÈME INTERVIEW
 

L’interview qui suit a été réalisé avec le professeur Guy McPherson par téléphone, un peu avant la fin de la COP21 :

Près de 200 pays sont attendus à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui commence le 30 novembre en France et est censée finir le 12 décembre. Mais les négociateurs internationaux de Paris ont manqué leur échéance du vendredi pour parvenir à un accord pour contrer la menace du réchauffement climatique, avant qu’il ne condamne la planète. Le secrétaire d’état US John Kerry a dit vendredi que les nations développées devaient prendre des décisions difficiles afin de parvenir à un accord mondial sur le climat.

« Il est inconcevable pour moi que les négociateurs parviennent à un accord qui empêcherait la destruction totale de la planète », explique le professeur McPherson.

« Nous savons depuis longtemps, en raison de travaux publiés par des institutions reconnues que la civilisation elle-même est un moteur thermique, que si nous maintenons la civilisation sous quelque forme que ce soit, que ce soit à l’aide de panneaux solaires, d’éoliennes ou de vagues de combustibles fossiles, cela produit le même effet: la civilisation elle-même est un moteur thermique », explique-t-il.

« Et je ne vois aucun négociateur avançant l’idée de mettre fin à la civilisation », ajoute-t-il.

Extinction de l’espèce humaine - le suicide de la civilisation industrielle

« Nous savons aussi, grâce à d’abondantes études récentes – sur ces 5 dernières années à peu près – à propos de l’assombrissement global, que si nous mettions soudainement fin à la civilisation, cela entrainerait un réchauffement si soudain de la planète, en raison de la perte de cet assombrissement mondial, que cela condamnerait certainement l’humanité à l’extinction », explique le scientifique.

« Donc, soit nous gardons le moteur thermique allumé et condamnons notre espèce et bien d’autres, soit nous coupons le moteur thermique et nous condamnons notre propre espèce et bien d’autres. Il semblerait que nous soyons dans une de ces situations de ‘quoi que nous fassions, nous perdons' », souligne-t-il.

« Je ne vois aucun négociateur ne serait-ce que se diriger vers la bonne direction, encore moins entreprendre une approche radicale qui pourrait collecter le carbone de l’atmosphère, par exemple, et réduire les émissions en même temps. Je ne vois pas ça arriver », explique-t-il.

Le changement climatique est une menace plus grande que le terrorisme

« Si j’étais un théoricien du complot, je serais porté à croire que la concentration sur le terrorisme est un choix spécifiquement conçu pour détourner l’attention des problèmes importants, comme le changement climatique abrupt », explique le professeur McPherson.

« Il est assez clair que nous sommes en plein changement climatique abrupt. C’est la plus grave des menaces existentielles menaçant notre espèce, et au lieu de cela les médias et les gouvernements se concentrent sur la « menace terroriste » qui a tué bien peu de gens dans toute l’histoire de la guerre-fabriquée contre la terreur », explique-t-il.

« Donc je pense qu’en tant que société, en tant que culture, nous avons les mauvaises priorités, et je ne vois pas ça changer de sitôt », ajoute-t-il.

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Pour finir, un court article, rédigé par Guy McPherson : 

La politique de l’affrontement du changement climatique

Il n’y a aucune réponse politiquement viable permettant de faire face au changement climatique.

Pour qu’une réponse soit politiquement viable, il faudrait qu’elle soit politiquement attirante. Une réponse qui ne tuerait pas la carrière des politiciens. Ce qui signifie une réponse pour laquelle les gens pourraient voter, une qui soit soutenue par les économistes et les dirigeants corporatistes. Et les gens votent pour des choses qui leur plaisent, pas pour des politiques qui les priveraient de leur confort.

Éteindre le moteur thermique de la civilisation

Comme souligné par l’étude de Tim Garrett publiée il y a quelques années, seul l’effondrement de la civilisation pourrait éviter un emballement du changement climatique. La civilisation est un moteur thermique, qui requière des débits massifs de ressources et d’énergies afin de maintenir la croissance de notre économie mondialisée et la complexité que nous prenons pour un acquis. La seule façon d’arrêter ce réchauffement c’est de couper le moteur. Combien de personnes, au sein du monde industrialisé, attendent cela avec impatience?

Certainement pas celles qui sont aux commandes de l’industrie. Bien que nombre des collègues de Garrett soutiennent sa théorie, les « leaders » du monde des corporations et des gouvernements ne sont pas prêts d’admettre sa validité, et les économistes ont presque tous critiqué la suggestion selon laquelle l’économie ne peut, ni ne devrait, croitre indéfiniment. Ces gens-là tirent encore plus profit que nous de l’arrangement actuel des choses.

Dans mes rêves, les deux joues jumelles du fessier corporatiste – appelées aux USA les Démocrates et les Républicains – font la promotion de l’idée de l’effondrement. J’aimerais voir un débat entre les candidats finaux se concentrer sur le sauvetage de l’habitat de l’Homo Sapiens et des autres organismes. Comme la plupart de mes rêves, il y a peu de chance que cela devienne réalité.

Il est peu probable que nous acceptions le défi de la liquidation de la civilisation industrielle et du sauvetage de l’habitat pour les humains de la Terre, et il est probable qu’il soit de toute façon trop tard pour faire une différence. Les preuves semblent indiquer que le changement climatique abrupt a déjà commencé.

A quel point est-ce grave?

Le changement graduel du changement climatique, jusqu’ici – qui a fait augmenter la température de la Terre d’un peu moins d’1 degré °C de plus que les mesures de référence [il semblerait que nous ayons désormais dépassé le 1°C d’augmentation] – c’est déjà trop et trop rapide pour que les organismes puissent suivre. Déjà, la vitesse de l’évolution est 10 000 fois plus lente que celle du changement, selon une étude publiée dans le numéro d’août 2013 de Ecology Letters. Sans une planète vivante pour fournir de la nourriture, nous ne survivrons pas.

Le commerce-comme-d’habitude (business-as-usual) place la Terre sur le chemin d’un réchauffement de +6°C d’ici 2050, selon la très conservatrice Agence Internationale de l’Energie (AIE), qui est loin d’être l’ennemi du commerce-comme-d’habitude. L’évaluation de l’AIE ne prend en considération qu’un seul gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone. En ajoutant uniquement le méthane on obtient une date bien plus proche pour le moment où les humains ne pourront plus vivre sur Terre, selon beaucoup de scientifiques.

Et bien que nous soyons préoccupés par les effets manifestes des perturbations climatiques graves, la montée du niveau des océans, les sécheresses chroniques impactant l’approvisionnement alimentaire, personne ne remarque l’éléphant dans la pièce. Démanteler les centrales nucléaires du monde en toute sécurité nécessitera des décennies de travaux sérieux, et cela doit être fait avant que cela soit rendu impossible en raison de contraintes au niveau des ressources ou en raison de catastrophes naturelles – ces deux choses entraineraient un compte-à-rebours jusqu’à l’effondrement, et deviennent de plus en plus probable à mesure de l’évolution du changement climatique. Sans ce temps et cet effort, la catastrophe nucléaire qui se profile fera de Fukushima un souvenir agréable.

Les preuves indiquent qu’il ne nous reste pas beaucoup de décennies avec un habitat viable pour les humains sur cette planète, encore moins pour la continuation de la plus insoutenable civilisation de l’histoire.

Vivre dans le présent

Au vu de cette situation dramatique, je suggère que nous vivions dans l’ici et maintenant, dans le moment. Nous ne vivons pas longtemps, un concept qui est vrai pour les vies individuelles comme pour notre espèce dans son ensemble.

Pourtant les voix dans nos oreilles – qui diffusent les messages que promeut cette culture – continuent à dire que nous pouvons et allons connaitre une croissance infinie sur une planète finie sans conséquences adverses. Réfléchir manifestement sur le sens de cette notion vous amène à la conclusion logique selon laquelle une telle idée est démente. Peut-être est-ce pour cela que nous évitons de « trop » penser.

Imaginez si seulement quelques millions de gens adoptaient ce message et commençaient à vivre dans le présent au lieu de dépenser de l’argent sur des assurances et des remboursements de prêts. Imaginez qu’ils se fichent de leur ratio de crédit et refusent de payer leurs dettes. Imaginez qu’ils arrêtent d’acheter toutes les idioties dont ils n’ont pas besoin.

A la lumière de ces images, je serais prêt à parier que le système imploserait bien plus vite qu’il n’implose actuellement, si les gens intégraient ce message et vivaient vraiment. Et cela représente une menace significative pour la civilisation et ceux qui en bénéficient.

Il y a une raison pour laquelle on ne vous dit pas toute la vérité sur le changement climatique abrupt. C’est la même que celle qui fait qu’on ne vous dit pas tout sur Fukushima. Et sur le système bancaire. Et sur le massacre en cours de gens dans ce que nous appelons intelligemment « guerre » (cf. conquête). Et sur d’innombrables autres phénomènes. Si vous ne parvenez pas à saisir cette raison, essayez de creuser un peu plus profond. Essayez de regarder au-delà de notre mode de vie, et de considérer d’autres modes de vie.

Pensez au cout du pouvoir entre les mains de quelques-uns.

Pensez à la myriade de coûts du « progrès ».

Pensez au-delà des voix qui émanent du mainstream.

Pensez au-delà de la civilisation.

Pensez.

Qui est Guy McPherson ?

Guy McPherson est professeur honoraire en ressources naturelles, en écologie et en biologie évolutive à l'université de l'Arizona, où il a enseigné et conduit la recherche pendant vingt ans. Il a abandonné son poste de professeur titulaire et chercheur principal à l’université pour des raisons éthiques. Il vit à présent en autarcie dans une maison construite en matériaux naturels à 200 miles de la ville la plus proche, cultive son jardin biologique, élève des petits animaux pour les œufs et le lait et travaille avec les membres de sa communauté rurale. Des extraits de ses livres et d’autres articles sont publiés dans son site : http://guymcpherson.com/

 

Sources initiales :

1ère interview: http://thefifthcolumnnews.com/2015/11/interview-with-guy-mcpherson/

2ème interview: http://presstv.com/Detail/2015/12/12/441334/Humans-global-warming-

L’article de Guy McPherson: http://shift-magazine.net/2015/11/20/the-politics-of-addressing-climate-change/

Traduction: Bruno Malier & Nicolas Casaux

Édition & Révision: Héléna Delaunay, Christine Kornog

 

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