★ Lettres sur le patriotisme

Publié le par Socialisme libertaire

Bakounine

Ce texte de Mikhaïl Bakounine, inachevé, regroupe neuf lettres adressées aux Compagnons de l’Association Internationale des Travailleurs du Locle et de la Chaux-de-Fonds et publiées dans le Progrès entre le 1er mars et le 2 octobre 1869.

Bakounine s’attaque ici au patriotisme, qui constitue un obstacle à l’unité internationale des travailleurs. Selon lui, le patriotisme n’a jamais été une vertu populaire. Il est le produit de la combinaison de quatre éléments :

1°L’élément naturel ou physiologique ;
2° l’élément économique ;
3° l’élément politique ;
4° l’élément religieux ou fanatique.

Comme ce fut souvent le cas, Bakounine, pris dans le tourbillon de l’action révolutionnaire, ne put achever son texte. Seul le premier point sera développé, les autres restant à l’état de projet.

La critique du patriotisme est fondée sur le matérialisme philosophique dont se réclame Bakounine. L’homme est une espèce animale et c’est par un long travail collectif qu’il s’humanise, s’éduque et s’extrait de l’animalité. Mais cette humanisation n’est jamais achevée : il faut sans cesse lutter contre notre bestialité. En effet, toute la vie humaine de l’homme n’est rien qu’un combat incessant contre sa bestialité naturelle au profit de son humanité . C’est justement cette bestialité qui constitue le fondement naturel ou physiologique du patriotisme. Celui-ci n’est que l’expression la plus brutale de notre attachement à l’existence, de la lutte organique pour la survie : "Le patriotisme naturel est un fait purement bestial, qui se retrouve à tous les degrés de la vie animale et même, on pourrait dire jusqu’à un certain point, dans la vie végétale. Le patriotisme pris dans ce sens c’est une guerre de destruction, c’est la première expression humaine de ce grand et fatal combat pour la vie qui constitue tout le développement, toute la vie du monde naturel ou réel, combat incessant, entredévorement universel qui nourrit chaque individu, chaque espèce de la chair et du sang des individus des espèces étrangères."

Cette passion naturelle se manifeste de deux manières : comme affirmation et comme négation. D’une part, affirmation du groupe le plus restreint auquel appartient la bête humaine, d’autre part, négation violente de tout ce qui est étranger : c’est un attachement instinctif, machinal et complètement dénué de critique pour des habitudes d’existence collectivement prises et héréditaires ou traditionnelles, et une hostilité tout aussi instinctive et machinale contre toute autre manière de vivre. C’est l’amour des siens et du sien et la haine de tout ce qui porte un caractère étranger. Le patriotisme, c’est donc un égoïsme collectif d’un côté et la guerre de l’autre.

Le patriotisme, loin d’être une vertu, n’est donc que la manifestation de notre animalité : "le patriotisme que les poètes, les politiciens de toutes les écoles, les gouvernements et toutes les classes privilégiées nous vantent comme une vertu idéale et sublime, prend ses racines non dans l’humanité de l’homme, mais dans sa bestialité." Développer son humanité, c’est donc combattre, en soi et hors de soi, cette tendance naturelle à la haine de ce qui nous est étranger : le patriotisme naturel est en raison inverse de la civilisation, c’est-à-dire du triomphe même de l’humanité dans les sociétés humaines. L’horreur instinctive de ce qui est étranger est d’autant plus énergique et plus invincible que celui qui l’éprouve a moins pensé et compris, est moins homme.

La société pour laquelle nous luttons ne peut donc qu’être une société sans frontières et cette exigence doit être au cœur de notre combat : les prolétaires n’ont pas de patrie !
 

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