★ Visiter des recoins qui me font peur
★ Chris Crass : " Visiter des recoins qui me font peur - Réflexions personnelles sur la remise en cause de la suprématie masculine " (avril 2009).
I. "Comment puis-je être sexiste ? Je suis anarchiste !"
"Comment ça, je suis sexiste ?" J’étais scandalisé, je n’étais pas un dragueur, je ne haïssais pas les femmes, je n’étais pas pas mal intentionné. « Mais comment puis-je être sexiste, je suis anarchiste ?" J’étais inquiet, nerveux, et toutes défenses. Je croyais en la libération, en luttant contre le capitalisme et l’état. Il y avait ceux qui défendaient les injustices et en profitaient et nous, non ? J’avais 19 ans et on était en 1993, quatre ans après être entré en militantisme.
Nilou, en me tenant la main m’a expliqué patiemment, "Je ne dis pas que tu es mal intentionné. Je dis que tu es sexiste, et le sexisme existe de beaucoup de manière subtiles ou flagrantes. Tu me coupes la parole lorsque je parle. Tu prêtes plus d’attention à ce que les hommes disent. L’autre jour, lorsque nous étions assis dans le coffee shop avec Mike, on aurait dit que vous aviez une conversation tous les deux et que j’étais là juste pour regarder. J’ai essayé d’y participer et de dire quelque chose, mais vous m’avez juste regardé avant que de la reprendre. Les hommes du groupe créent un contact visuel entre eux et agissent comme si les hommes n’étaient pas là. Le groupe d’étude est devenu un forum pour les hommes pour parler sans arrêt de tel livre et tel autre, comme si ils savaient tout et devaient seulement l’enseigner au reste du groupe. Pendant longtemps, j’ai pensé que çà venait de moi, que ce que j’avais à dire n’était pas très utile ni intéressant. Peut-être devais-je changer mon approche, ou que je dramatisais, peut-être que c’était juste une idée et que je devais m’en débarrasser. Mais alors, je me suis aperçue qu’il arrivait sans arrêt la même chose à d’autres femmes du groupe. Je ne t’accuse pas de tout çà, mais tu es quelqu’un d’important dans le groupe et tu participes à cette dynamique." Cette conversation a changé ma vie et c’est une remise en cause que je continue avec cet essai.
Il s’adresse aux autres mâles blancs des classes moyennes, organisateurs anarchistes de gauche, qui luttent pour créer des mouvements en faveur de la libération. Je souhaite mettre l’accent sur ma propre expérience du traitement de ces questions de sexisme et d’anti-sexisme d’un point de vue psychologique et émotionnel. J’ai choisi cette approche parce qu’elle est est une remise en cause d’ordre personnel, qu’elle s’est révélée efficace lors de travail avec des hommes contre le sexisme et à cause d’un retour cohérent de la part de femmes que j’encourage à ne pas ignorer ces aspects. Rona Fernandez du Youth Empowerment Center à Oakland , "Encouragez les hommes/genres privilégiés à examiner le rôle des émotions (ou leur absence, le cas échéant) dans leur expérience de privilégiés. Je vous dis cela parce que ceux-ci souffrent aussi au sein du système de patriarcat et que l’une des formes la plus déshumanisante de leurs souffrances est leurs difficultés/incapacités à exprimer leurs sentiments." Clare Bayard du Anti-Racism for Global Justice l’exprime sans détour en s’adressant à des militants hommes du genre privilégié « Cela vous a pris des années d’études et de dur travail pour élaborer vos analyses politiques, pourquoi pensez vous que la compréhension émotionnelle viendra toute seule. Cela demande aussi du travail."
Cette essai examine le rôle déterminant de femmes, de femmes de couleur en particulier, qui écrivent sur et s’organisent contre le patriarcat dans la société et le sexisme dans le mouvement. Les travaux de Barbara Smith, Gloria Anzaldua, Ella Baker, Patricia Hill Collins, Elizabeth ‘Betita’ Martinez, Bell Hooks et de tant d’autres qui ont élaboré les fondations politiques, les visions et les stratégies sur le travail que doit faire sur lui-même l’homme blanc au genre privilégié. Par ailleurs, il existe de plus en plus d’hommes blancs privilégiés au sein du mouvement qui agissent pour remettre en cause la suprématie masculine. Nous sommes des milliers qui reconnaissons que le patriarcat existe, que nous sommes ainsi privilégiés, que le sexisme affaiblit le mouvement, que les femmes, transgenres, homosexuels et lesbiennes l’ont expliqué encore et encore et ont dit « Nous avons tous besoin de nous parler les un-es aux autres, de nous remettre en cause et de décider de ce que nous allons faire ensemble." Mais il existe cependant beaucoup plus d’hommes blancs au sein du mouvement qui sont d’accord pour dire que le sexisme existe dans la société, dans le mouvement peut-être, mais qui refusent d’admettre leur implication personnelle.
Lisa Sousa, qui est membre du San Francisco Independent Media Center et de AK Press, m’a dit que, lors de conversations récentes sur le sexisme et le genre qu’elle a eu dans des groupes, elle a entendu les réponses suivantes de la part des hommes "Nous sommes tous opprimés", "nous devrions parler des classes sociales", "vous utilisez seulement la notion de genre pour attaquer untel et untel". Lorsqu’elle a soulevé la question des femmes qui quittent le groupe à majorité masculine peu après leur arrivée, les réponses incluaient : "des hommes quittent aussi le groupe, les femmes ne le quittent pas plus, des gens s’en vont, c’est le propre des organisations de volontaires", "nous devons seulement recruter plus de femmes, si des femmes quittent le groupe, il y en a davantage susceptibles d’y entrer".
Ces commentaires sont si courants et, même si il est tentant pour moi de prendre mes distances par rapport aux hommes qui les ont exprimé, il est important que je me souvienne de l’époque où je les faisais. En tant que personne qui croit en la construction d’un mouvement et à la libération collective, il est important pour moi d’être sur la même longueur d’ondes que ceux avec qui je travaille. Comme une personne privilégiée qui travaille avec d’autres personnes privilégiées, je dois apprendre à m’aimer suffisamment pour être capable de me voir dans les gens vis à vis desquels j’aurais tendance à prendre mes distances et à critiquer. Cela implique aussi d’être honnête avec moi-même.
Lorsque je repense à cette conversation avec Nilou et à son explication sur comment opère le sexisme, je me souviens d’avoir essayé de ne pas me renfermer et d’écouter. Le mot "Mais"me revenait sans arrêt à l’esprit, suivi de "c’était un malentendu, je ne pensais pas cela, je ne savais pas que tu le ressentais comme cela, je n’essayais pas de faire cela, j’aimerais que tu participes davantage, je ne comprends pas, personne n’a dit qu’il ne voulait pas écouter ce que tu avais à dire, nous croyons tous en l’égalité, je t’aime et je ne ferais jamais rien qui puisse te blesser, il s’agissait de cas fortuits, pas de sexisme, je ne sais pas quoi faire." En regardant en arrière dix ans plus tard, le fait que cette même liste de « mais » me revienne si souvent à l’esprit m’étonne . Je ressemble davantage aux « autres » hommes que je suis prêt à l’admettre.
Nilou a passé des heures et des heures à me parler du sexisme . C’était incroyablement difficile. Mes opinions politiques étaient façonnées par un schéma dualiste clairement défini entre le bien et le mal. Si il se révélait que j’étais sexiste, alors ma perception précédente de moi-même était remise en cause et mon schéma devait être transformé. Lorsque je m’en souviens, ce fut un moment extrêmement important de mon évolution, même si sur le moment, je me suis senti merdeux.
Deux semaines après, à la réunion de notre groupe d’études, Nilou a levé la main. "Il y a des manifestations de sexisme dans ce groupe" Elle a énuméré les exemples qu’elle m’avait cité. La réaction de défense que j’avais ressenti était maintenant multipliée par les cinq hommes dans la salle. D’autres femmes commencèrent à prendre la parole. Elles aussi avaient vécu de telles expériences et elles en avaient assez de les supporter. Les hommes étaient choqués et sur la défensive ; nous avons commencé à recenser toutes les raisons pour lesquelles les accusations de sexisme étaient fondées sur des malentendus, de mauvaises interprétations. Nous avons dit avec une profonde sincérité « Mais nous voulons tous la révolution ».
Après la réunion, la femme la plus ancienne du groupe m’a pris à part. April était membre du United Anarchist Front depuis plus d’un an et elle aussi m’a donné des exemples de comportements sexistes. Les hommes du groupe ne lui faisaient pas confiance pour lui confier des responsabilités, même si ils étaient plus nouveaux qu’elle dans le groupe. On ne lui communiquait pas les informations concernant le groupe et on ne lui demandait pas son opinion sur des questions politiques. D’autres personnes se joignirent à notre conversation et les hommes continuèrent à contester l’accusation de sexisme. April cita un exemple qu’elle m’avait expliqué clairement auparavant et ils l’expliquèrent comme étant un malentendu. Quelques minutes plus tard, j’ai reformulé exactement le même exemple cité par April et, cette fois -ci, il reçut l’agrément de mauvaise grâce d’autres hommes qui admirent que peut-être, dans ce cas, c’était du sexisme. April le fit remarquer aussitôt. Je n’avais même pas eu conscience de ce qui s’était passé. J’ai regardé April alors qu’elle fondait en larmes. Dans ma bouche, les mots d’April étaient écoutés et pris au sérieux. C’était ainsi. Je ne voulais pas croire que le sexisme existait mais j’en étais maintenant le témoin. Je me sentais affreusement mal, comme après avoir reçu un coup dans l’estomac. Nilou et April essayaient désespérément de nous faire admettre que c’était un problème. Comment cela avait-il pu arriver alors que je n’en avais pas eu l’intention ? J’étais pour le moins terrorisé.
Deux mois plus tard, j’assistais en silence à une réunion entre hommes. On ne savait pas de quoi parler. Plus précisément, nous étions effrayés, nerveux, peu enthousiastes et ne mettions aucune bonne volonté pour entamer une discussion sérieuse au sujet du sexisme. Nilou et April avaient suggéré que nous consacrions une journée à discuter du sexisme et nous avions commencé en petits groupes. "De quoi parlent les femmes", nous demandions-nous. Lorsque le groupe s’est retrouvé dans son ensemble, la discussion s’est rapidement dirigée vers la défense par les femmes de leur interprétation de leurs expériences. Je me sentais mal à l’aise, ayant du mal à croire ce que j’entendais. Je me sentais incapable d’orienter la conversation de manière positive. Plusieurs personnes de tous sexes quittèrent bientôt la pièce en larmes, désabusées et submergées par l’impuissance. Ma mère, qui avait observé une partie de la discussion, a demandé la parole. "Vous êtes en train de discuter de questions extrêmement difficiles. Je suis très heureuse de vous voir à votre âge les prendre aussi au sérieux.Cela prouve que vous croyez réellement à ce pourquoi vous vous battez mais c’est une question qui ne se règle pas en un jour.." Je pouvais sentir l’abattement qui régnait dans la pièce, alors que nous échangions des regards, souvent les larmes aux yeux. Il était évident que la remise en cause du sexisme demandait plus que d’apprendre à établir un contact visuel avec les femmes lors des discussions de groupe, que c’était une remise en cause d’un système de pouvoir qui se manifestait dans les sphères politique, économique, sociale, culturelle et psychologique et que ma supériorité intériorisée n’était que le sommet d’un iceberg fondé sur l’exploitation et l’oppression.
II. "A quelle classe historique appartiens-je ?"
"Sais-tu à quelle classe tu appartiens ?" Étant un homme blanc, de classe moyenne, suivant des études féminines et ethniques depuis sept ans, on m’avait souvent posé la question. Dans un cours d’histoire des femmes noires, quelqu’un avait proposé de m’aider à décider où je devais aller.. J’avais compris pourquoi on me demandait cela et que la question n’était pas au sujet d’une classe d’étudiants, mais d’une classe comme catégorie sociale au sein d’une société suprématiste blanche, patriarcale, hétéro-sexiste et capitaliste déterminée à garder le pouvoir. Je savais de quelle classe j’étais issu, que ma relations avec les études féminines et ethniques étaient compliquées . Je savais aussi que certaines personnes ne souhaitaient pas ma présence dans ces cours et que celle-ci en mettait d’autres mal à l’aise. Mais beaucoup de professeurs et quelques étudiant-es m’avaient dit qu’ils/elles étaient heureux-ses que je sois là. Cela m’avait aidé à voir combien ces questions étaient complexes et qu’elles n’avaient pas de réponses faciles.
J’ai suivi des cours dans un community college pendant quatre ans et ensuite à l’Université d’état de San Francisco pendant trois ans. La majorité de mes professeurs était des femmes et des gens de couleur. J’avais grandi en règle général dans un environnement ségrégué et je n’avais que peu de modèles, de figures d’autorité, de mentors ou de professeurs de couleur. Ce que j’avais lu et étudié au collège sur le féminisme des femmes de couleur, la lutte de libération des noirs, l’histoire des chicano/as, le colonialisme sous l’angle de l’histoire indienne, l’histoire syndicale, la théorie des identités de genre, l’anti-racisme sous l’angle des femmes immigrées et réfugiées, avait eu un profond impact sur moi. Côtoyer des gens de couleur, et en particulier des femmes de couleur, qui m’évaluaient, m’enseignaient et me guidaient se révéla incroyablement important pour mon évolution sur un plan psychologique, ce dont je n’étais pas nécessairement conscient à l’époque. Que de tels gens, aux opinions politiques de gauche/radicales dirigent mon éducation a entraîné un bouleversement subversif des relations de pouvoir qui n’était pas mentionné dans le programme mais qui fut central dans mes études. Apprendre au milieu de personnes et de femmes en majorité de couleur a eu aussi un impact profond parce que c’était la première fois que je me trouvais en situation minoritaire sur la base de la race et du genre. Soudainement, la race et le genre n’étaient plus seulement des questions parmi d’autres mais l’aspect central concernant la vie, la vision et la compréhension que d’autres avaient du monde La question que je me posais parfois en silence » pourquoi vous sentez-vous toujours obligés de parler de race et de genre", s’était inversée ; "comment peut-on ne pas penser toujours à la race et au genre ?"
J’ai développé progressivement une stratégie pour les cours. Je restais plutôt tranquille le premier mois, m’efforçant à écouter attentivement. La première semaine, je disais quelque chose qui m’identifiais clairement comme opposé à la suprématie blanche et au patriarcat (quelquefois au capitalisme) comme systèmes d’oppression, dont j’étais un bénéficiaire, afin que les gens sachent d’où je venais. C’était généralement reçu avec surprise, effervescence et un signe d’encouragement. Je participais davantage aux dialogues pour essayer d’établir la confiance par l’écoute et l’esprit d’ouverture concernant les informations et les histoires. Si cette stratégie comprenait des objectifs anti-sexistes, elle était aussi un moyen de me présenter sous un certain angle.
Une autre partie de la stratégie était de participer et de soulever des questions et d’autres perspectives dans les cours de civilisations occidentales, de sciences politiques ou autres, à majorité masculine blanche. Les gens et les femmes de couleur avec qui j’étudiais attendaient clairement de moi que je prenne cette responsabilité. "Ils attendent cela de nous et nous considèrent comme émotifs, colériques, bloqués en mode victimes. Tu dois utiliser ta position de privilégié pour te faire entendre par les blancs" Le but n’était pas nécessairement de faire changer de point de vue le professeur mais d’ouvrir un espace pour le dialogue critique au sujet de la race, de la classe et du genre avec les autres étudiants principalement masculins. C’était également un apprentissage extrêmement utile parce que je donnais souvent l’impression d’être quelqu’un de froid, colérique et peu sûr de moi, rien de particulièrement utile. Si mon but est de crier après les blancs pour soulager ma propre culpabilité et honte d’être moi-même un homme blanc, alors peut-être que cela était une tactique efficace. Mais si mon but était réellement de travailler avec d’autres pour pratiquer l’anti-racisme et l’anti-sexisme, alors je devais me comporter avec moi-même de façon plus complexe et sincère.
J’ai grandi en croyant que j’étais un individu seul sur une voie linéaire de progression sans passé. L’histoire était un ramassis de dates et d’événements qui, bien que intéressants à apprendre, n’avaient que peu de rapports avec ma vie. J’étais seulement un individu menant sa vie. Puis j’ai commencé à apprendre que être blanc, homme, moyenne classe, valide, principalement hétérosexuel et citoyen des États-Unis ne signifiait pas seulement que je jouissais de privilèges mais que j’avais mes racines dans l’histoire. J’appartenais à des catégories sociales- blanc, mâle, hétéro, classe moyenne. Faire partie de ces groupes signifiait être réputé normal, une norme d’après laquelle tous les autres étaient jugés. Mon sentiment d’être ma « propre personne » était désormais complétée par des images de bateaux négriers,, de tribus indigènes rasées par le feu, familles détruites, de violences contres les femmes, d’une classe dirigeante blanche utilisant les blancs pauvres pour coloniser les femmes blanches , les gens de couleur et la planète.
Je me souviens m’être assis dans un cours d’histoire sur les femmes afro-américaines, un ou deux blancs, un ou deux hommes, la quinzaine d’autres personnes étaient de femmes noires et j’étais le seul homme blanc. Nous étudiions l’histoire de l’esclavage, la campagne contre les lynchages et les viols systématiques des femmes esclaves africaines par leurs propriétaires blancs menée par Ida B. Wells – des millions de viols ratifiés et protégés par la loi. En même temps, des centaines d’hommes noirs furent lynchés par des blancs qui prétendaient protéger les femmes blanches contre les violeurs noirs. J’étais assis là, la tête baissée et les larmes aux yeux et je pouvais sentir l’histoire dans mon estomac nauséeux et mes yeux baignés de larmes. Qui étaient ces hommes blancs et que pensaient ils d’eux-mêmes ? J’avais peur de regarder en face les femmes noires dans la salle. "Même si il y a eu un mélange de race par amour," disait le professeur, »notre peuple est composé d’autant de nuances de noirs à cause du viol institutionnalisé génération après génération" Qui suis-je et qu’est-ce que je pense de moi-même ?
III : "Ce combat est mon combat"
"Je n’ai pas la moindre notion de ce que pourrait être le rôle possible d’un homme hétérosexuel révolutionnaire blanc puisqu’il est l’incarnation même du pouvoir réactionnaire en défense d’intérêts particuliers ." – Robin Morgan en introduction à Sisterhood is Powerful
"Confrontes toi à ta peur/ ta peur c’est toi/ tu ne peux pas t’enfuir/ tu ne peux pas te cacher/ta peur c’est toi / finalement qu’as tu fait/ est-ce vrai que le mal que tu as causé est plus grand que le bien que tu as fait/ confrontes toi à ta peur/ étreins ta peur/ta douleur à l’intérieur c’est la vérité /laisse la sortir/ laisse la sortir/ quand la socialisation a disparu/ que reste t‘il/ la peur est plus réelle que l’espoir que tu fabriques/ où vas-tu aller/ que vas-tu faire/ laisse faire parce que tu es déjà toi/est-ce que je peux avancer/ est-ce que je peux avancer / épanouis toi/ tu sais que tout est vrai/ l’espoir c’est toi " -White Boy Emo-hardcore
J’ai traversé et je traverse des périodes de haine de moi-même, où je me sens coupable, effrayé. Je sais au fond de moi que j’ai joué un rôle dans la lutte pour la libération et je sais par expérience le travail utile que je pourrais y faire, mais la question me hante toujours, "Est-ce que je me raconte des histoires ?" Autrement dit, est-ce que je me mens lorsque je pense être plus utile que la cause de problèmes. Pour être clair, je pense qu’il faut se coltiner la citation de Robin Morgan mais pas se bloquer dessus. J’ai grandi en pensant que tout m’était dû.Je pouvais aller partout, faire n’importe quoi et où que j’aille on voulait/avait besoin de moi. Le patriarcat et l’hétéro-sexisme m’avaient aussi enseigné, de manière subtile et flagrante, que j’avais droit aux corps des femmes, à occuper l’espace et y déposer mes idées et pensées comme je le voulais, sans considération pour les autres. C’est un processus de sociabilisation très différent de celui de la plupart des gens dans cette société à qui l’on dit de la fermer, de garder tout pour eux, de cacher qui ils sont vraiment, de dégager du chemin et de ne jamais oublier la chance qu’ils ont d’être autorisés à vivre ici. Je pense qu’il est sain de ne pas croire que l’on a toujours besoin de vous, d’apprendre à partager l’espace et le pouvoir et de travailler avec d’autres pour prendre conscience du rôle qu’en réalité vous pouvez et devez jouer. Ce qui est malsain est de constater combien il est rare que des hommes du genre privilégié de parlent entre eux de ces questions et s’aident mutuellement dans ce cheminement entre eux.
Laura Close, une organisatrice des Students for Unity à Portland, a traité ces question dans un essai, "Men in the Movement". Elle écrit, "Tous les jours, des hommes jeunes se réveillent et décident de s’engager dans le militantisme. Souvent, ils sont confrontés à un langage et à des discussions au sujet de leur privilèges de mâles qui les aliènent et les réduisent au silence sans que quiconque ne les soutiennent réellement pour décoloniser leur esprit. Pensez à ce que cela signifierait si des hommes acquis à notre cause emmenaient les plus jeunes ou plus nouveaux prendre un café et discuter de leurs propres expériences comme mecs dans le mouvement. Parlez de ce que vous avez appris ! Pensez à ce que cela représenterait pour des hommes d’encourager d’autres hommes qui font des progrès pour devenir nos alliés." Elle met au défi des hommes de guider d’autres hommes dans leur travail anti-sexiste.
Je savais qu’elle avait raison mais l’idée de le mettre en pratique me rendait réellement nerveux. Certes, j’avais beaucoup d’amis proches de genre privilégié mais m’engager politiquement en développant une relation avec d’autres hommes et en s’ouvrant à eux concernant mes propres démêlés avec le sexisme m’effrayait. Parce que j’étais capable de dénoncer le patriarcat et de critiquer d’autres hommes de temps en temps, mais pour être honnête vis à vis de mon propre sexisme, étais-je capable de mettre en lien ma pratique/analyse politique avec mon cheminement émotionnel/psychologique, d’être vulnérable ?
Pause. Vulnérable par rapport à quoi ? Vous souvenez-vous lorsque j’ai dit que, dans les cours d’études féminines, je me présentais comme opposé au patriarcat, à la suprématie blanche et, quelques fois, au capitalisme ? Le niveau de conscience au sujet du féminisme, pour ne pas parler de celui de l’engagement politique, parmi la plupart des hommes de genre privilégié à l’université est si bas que le seul fait de lire un ouvrage féministe et de déclarer « Je reconnais que le sexisme existe » signifiait que j’étais progressiste. Même si le degré de conscience et d’engagement est généralement plus élevé dans les milieux militants, il ne l’est guère plus. J’ai mené deux grandes luttes au cours de ma vie politique – le désir sincère de m’engager et une profonde crainte de ne pas être à la hauteur. Il m’est beaucoup plus facile de faire des déclarations contre le patriarcat dans des salles de cours ou des réunions politiques et d’écrire sur le sujet que de mettre en pratiques mes opinions féministes dans mes relations personnelles avec des amis, des membres de la famille ou des partenaires. C’est particulièrement difficile lorsque des militant-es, comme moi-même, prennent si peu de temps pour échanger avec les autres sur ce sujet.
Qu’est-ce que j’ai peur d’admettre ? Que je lutte quotidiennement pour écouter vraiment les voix que je reconnais être comme celles des femmes. Je sais que mon esprit se met à vagabonder plus rapidement. Je sais que ma réaction instinctive est de prendre plus au sérieux l’opinion des hommes. Je sais que lorsque je marche dans une pièce remplie de militant-es, j’examine aussitôt l’endroit et divise les gens en hiérarchies statutaires (depuis combien de temps militent-ils, à quels groupes ont-ils appartenu, qu’ont-ils écrits et où cela a t’il été publié, qui sont leurs amis). Je me positionne contre eux et je me sens le plus en concurrence avec les hommes. J’établis les mêmes statuts hiérarchiques avec celles que j’identifie comme femmes mais la désirabilité sexuelle s’insinue dans ma mentalité hétéro. Qu’est-ce qu’un désir et une attraction sexuelle saine et comment sont ils liés, comment survivent-ils, à mon habitude de sexualiser systématiquement les femmes autour de moi ? Cela est amplifié par la réalité sociale quotidienne qui présente les femmes comme des corps sans voix pour servir les désirs des hétéros mâles, nous le savons. Mais qu’est ce que cela implique dans la façon avec laquelle je communique avec mes partenaires qui sont des femmes et avec qui je travaille ? Comment cela se traduit il lorsque je fais l’amour, que je désire de l’amour, que j’exprime de l’amour, que je conceptualise l’amour ? Je ne parle pas de comment je fais l’amour ou je parle d’amour à mes partenaires mais de savoir si,oui ou non, j’accorde plus d’importance à l’égalité qu’à prendre mon pied régulièrement. Du fait que mes partenaires m’ont apportées beaucoup plus de soutien affectif et matériel que je ne l’ai fait pour elles. Je parle de n’avoir presque jamais manqué d’attention à ce que disait un homme de genre privilégié parce que je pensais à lui sur un plan sexuel. Je me suis retrouvé maintes fois manquant d’attention, en pensant au sexe, en écoutant parler des femmes, qui sont des organisatrices, des leaders, des visionnaires, mes amies, mes camarades. Je n’ai absolument rien contre les amourettes, le désir sexuel sain et les idées pro-sexe, ce n’est pas de cela que je parle. C’est au sujet du pouvoir, de se croire tout permis, et de la marginalisation du leadership des femmes par le désir masculin hétéro. Je souhaiterais ne pas toujours être sur la défensive à ce sujet, mais je le suis pourtant continuellement. Je me sens frustré et clos les conversations au sujet des relations de pouvoir entre moi et ma partenaire.Je suis sur la défensive quant à la façon dont le monde interagit avec nous et influence nos comportements. Je sais qu’il y a des moments où je dis "ok, je vais y réfléchir davantage" alors que, en réalité, je pense, "fiche-moi la paix".
Ce n’est pas un confessionnal, donc je serai pardonné. C’est un combat perpétuel pour être honnête contre le fait que je suis profondément modelé par le patriarcat et ces systèmes d’oppression. Le patriarcat me déchire. J’ai de nombreuses craintes quant à savoir si je suis capable ou non d’avoir des relations amoureuses saines. Si je suis capable d’être sincèrement honnête et cohérent avec moi-même afin de pouvoir m’ouvrir aux autres et partager avec eux Les stigmates du patriarcat sont présentes chez chaque personne avec qui je suis en relation, et lorsque je m’oblige à les voir, à les examiner vraiment et à y réfléchir, je suis rempli de tristesse et de rage. Bell Hooks, dans son livre All About Love, écrit que l’amour est impossible là où la volonté de domination existe. Suis-je capable d’aimer réellement. Je veux croire dans des pratiques politiques de la part des hommes de sexe privilégié forgées par opposition au patriarcat. Je pense que lorsque nous luttons contre l’oppression,que nous mettons en pratique nos engagements, nous matérialisons et exprimons notre humanité. Il existe des moments, des expériences et des situations où je vois le patriarcat remis en cause par tous les sexes et qui démontrent que nous pouvons y arriver. Je pense que c’est la tâche de notre vie et , par essence, le combat pour nos vies. Et à travers lui, nous prenons conscience que même face à ces systèmes d’oppression, notre amour, notre beauté, notre créativité, notre passion, notre dignité et notre pouvoir s’accroissent. Nous sommes capables de cela.
Post scriptum : "nous devons parler pour rendre ce combat concret"
Même si il est nécessaire d’aborder les difficiles questions affectives et psychologiques, il existe aussi d’innombrables moyens concrets pour remettre en cause la suprématie masculine.
Une militante qui travaille pour la libération de la Palestine m’écrit, "quelques trucs que des personnes de sexe : proposer de prendre des notes lors des réunions, passer les coups de fil, chercher les locations de salles, garder les enfants, faire les photocopies et autres tâches moins glamours. Encourager les femmes et les personnes de genres opprimés à occuper les rôles qu’occupent souvent les hommes dans les groupes (ex. la réflexion tactique, l’organisation des manifestations, le poste de porte-parole vis à vis des médias) Demander à des femmes précises si elles veulent s’en charger et expliquer pourquoi vous pensez qu’elles rempliraient bien ces tâches (ne mentez pas). Accordez toute votre attention à ceux que vous écoutez et soyez attentif à vos positions de pouvoir."
Elle est l’une des milliers de femmes et de personnes de genre opprimé qui a proposé des moyens clairs, concrets que celles de sexe privilégié peuvent mettre en place pour combattre le sexisme et agir pour la libération. Il reste un gros travail à faire. La question plus large qui s’est posée à moi est celle-ci « qu’est-ce que cela me coûtera d’entreprendre vraiment ce travail, de lui donner réellement la priorité et de le faire sur la durée ?" En plus d’en discuter entre hommes, comme mentionné plus haut, nous devons aussi nous engager les uns envers les autres à aller jusqu’au bout. De nombreuses questions émotionnelles surgissent lorsqu’on fait ce travail et il est essentiel de s’aider mutuellement à ne pas s’y perdre et à prendre les mesures concrètes nécessaires pour avancer. Demandez-vous, "en quoi notre travail favorise t’il le leadership des femmes ?" "Comment est-de que j’agis pour partager le pouvoir dans l’organisation ?" "Suis-je ouvert pour écouter les retours des personnes de genres opprimés au sujet de mon travail" Chacune de ces questions génère une autre étape . L’examen et la remise en cause du privilège est un aspect indispensable de notre action, mais ils ne sont pas suffisants. Des hommes qui travaillent avec d’autres hommes pour remettre en cause la suprématie masculine est seulement une stratégie parmi beaucoup d’autres, nécessaires pour élaborer des mouvements multiraciaux antiracistes, de libération homo et trans, de lutte de classe, anti-capitalistes, conduits par des femmes. Nous savons que le sexisme agira pour saboter la construction du mouvement. La question est , quel travail ferons-nous pour aider à le construire et, dans cette dynamique, pour accroître notre capacité à aimer les autres et nous-mêmes.
Chris Crass
★ Texte original :
Chris Crass, "Going to places that scare me : Personal reflections on challenging male supremacy", avril 2009
- SOURCE : Bibliothèque Anarchiste
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★ La femme est son propre devenir - Socialisme libertaire
Féminisme et mouvement ouvrier : Certains sociologues jugent les sociétés au niveau de libération des femmes. Les poètes chantèrent l'épouse, la mère, la sœur, la maîtresse, la compagne.....
http://www.socialisme-libertaire.fr/2017/03/la-femme-est-son-propre-devenir.html
★ La femme est son propre devenir.
★ Ni dieu, ni maître, ni mari - Socialisme libertaire
Le premier groupe explicitement anarcha-féministe s'est créé dans la logique de l'expansion du mouvement anarchiste en Argentine au XIXe siècle. Il a publié le premier journal anarcha-féminis...
http://www.socialisme-libertaire.fr/2016/12/ni-dieu-ni-maitre-ni-mari.html
★ Ni dieu, ni maître, ni mari.