★ Joseph Déjacque : Autour de la question révolutionnaire

Publié le par Socialisme libertaire

L'autorité, c'est l'unité dans l'uniformité ! La liberté, c'est l'unité dans la diversité.

Joseph Déjacque (in "A bas les chefs !" 1859)

Joseph Déjacque

Vie de Joseph Déjacque.

Né en 1821, 12 ans après P.-J. Proudhon, 7 ans après Mikhaïl Bakounine, mais 9 ans avant Elisée Reclus ou Louise Michel et 11 ans avant Piotr Kropotkine, Joseph Déjacque, inventeur du mot libertaire et fondateur du journal new-yorkais homonyme (voir L’Éclat n°4, p. 13), est élevé par une mère lingère au cœur du Paris populaire, devient très jeune vendeur de papiers peints (1834-1841), s’engage dans la marine (1841-1843), où il découvre les mers d’Orient et l’autoritarisme militaire, fréquente la bohème littéraire et socialiste (le Club des femmes en 1848), participe activement à tous les mouvements insurrectionnels des années 1848-1851, puis passe presque tout le reste de sa vie en exil. À Londres (1851-1852), d’abord, où le rejoint bientôt G. Lefrançais (Souvenirs d’un révolutionnaire (1886), Paris, 1972, p.163) : « Les garçons seuls habitent généralement Soho, à quelque distance de la taverne de Pottier. Parmi ces derniers se trouve heureusement une ancienne connaissance des clubs de 1848, le citoyen Déjacque, colleur de papiers, et poète à ses heures. Ses Lazaréennes [...] l’ont contraint de se réfugier à Londres dès avant le coup d’État pour échapper aux cinq années de prison que lui avait rapportées son talent populaire »). Puis à Jersey (1852-1854), à la Nouvelle -Orléans (1855-1858) et à New York (1854-1855 et 1858-1861), où il finit par bénéficier de l’amnistie (1860). En 1861, il retourne enfin au pays natal, où il mène une vie misérable, sombre dans la folie et meurt en 1864.

Son œuvre.

Les vicissitudes de sa vie laborieuse et errante n’ont laissé à Déjacque que le temps de rédiger quelques centaines de pages : il s’agit essentiellement de « poésies sociales » (Les Lazaréennes, Paris, 1851, 47 p., N lle -Orléans, 1857 2 , 200 p.), « petits poèmes dans lesquels il dépeint en traits poignants et énergiques les misères des prolétaires » (G. Lefrançais, op.cit., 1972, p. 163), de lettres ouvertes (« Aux tartuffes du peuple et de la liberté », Paris, 1848, « De l’être- humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », N. O., 1857, etc.), d’un essai Sur La question révolutionnaire (N. Y., 1854), prônant « l’anarchie, la souveraineté individuelle, la liberté entière, illimitée, absolue de tout faire, tout ce qui est dans la nature de l’être humain », d’une utopie politique décrivant une sorte de « phalanstère, mais sans aucune hiérarchie, sans aucune autorité ; où tout, au contraire, réalise égalité et liberté et fonde l’anarchie la plus complète » (L’Humanisphère, Bruxelles, 1899), et des chroniques et coups de gueule publiées dans les 27 n os de son Libertaire (N .Y., 1858-1861).

Rééditions de ses écrits.

Longtemps introuvables, à l’exception de L’humanisphère (Buenos Aires, 1927) et d’un article du Libertaire (1859) originellement intitulé « L’autorité — La Dictature » (À bas les chefs,Paris, 1912 et 1923), seuls certains de ces écrits (L’humanisphère, La question révolutionnaire et quelques articles du Libertaire) ont été réunis en 1970 (À bas les chefs, Paris, Champ Libre) ou réédités séparément depuis (De l’être-humain mâle et femelle ou À bas les chefs, Apache-éditions, 2006 ; et L’humanisphère, Montrouge, Burozoïque, 2009). On est ainsi loin de disposer d’une édition des œuvres complètes de Déjacque : on ne peut donc que saluer la récente publication d’une anthologie (1852-1861) rassemblant les principaux ouvrages de l’anarchiste (La question révolutionnaire et L’humanisphère exceptées), précédée d’une riche préface (p. 6-32 : « Déjacque ou la passion anarchiste ») et pourvue d’une annotation substantielle.

Son anarchisme.

Plus qu’un théoricien de l’anarchisme, Déjacque est un pamphlétaire libertaire : à la rigueur de raisonnement, il préfère ainsi « cette vigueur d’argumentation » qui transforme l’écrivain en « un athlétique agitateur » (p. 63). Il n’en reste pas moins vrai, comme l’a noté Émile Pouget (« Manuscrits sur Déjacque », Fonds Delesalle, Paris, IFHS, cité p.28), qu’il a défini « l’anarchisme avec une acuité de vue merveilleuse », « ne s’est pas contenté d’en avoir une fugace compréhension », mais « l’a embrassé dans toute son ampleur ». Toute sa pensée repose ainsi sur un principe unique : la liberté de chacun fondée sur l’égalité de tous. Il le dit clairement dans le Libertaire (p. 98 et 111) : « Il a pour principe, un et supérieur : la liberté en tout et pour tous » ; « Si nous voulons l’harmonie, sachons être libres ; si nous voulons être libres, sachons être égaux ». Au nom de ce principe, il réclame « l’abolition de tous les esclavages sous toutes les formes » (p. 98), lesquels brisent « l’indivisibilité de l’être-humain » (p. 63). Et ses écrits de dénoncer tour à tour l’action liberticide du capitalisme (p. 122-124, etc.) et des bourgeois soi-disant éclairés, véritables « tartufes de la religion et de la politique » (p. 35-40, 65-80, 145-158, etc.), l’impérialisme et le militarisme des bourgeoisies nationales (p. 88-93 et 167-173), l’inégalité entre « l’être- humain mâle et femelle » (p. 49-64 et 84), le racisme et l’esclavage (p. 101-111, 159-166, 180-183, etc.). Mais, pour Déjacque, dénoncer ne suffit pas : « c’est dès aujourd’hui, à tout instant qu’il faut agir, s’insurger, révolutionner » (p. 42). Son modèle, c’est Mandrin (p. 126), son mot d’ordre « Guerre à la société ! » (p. 43) et sa méthode la persécution : « Que le fer de Damoclès soit constamment suspendu sur la tête des privilégiés ; que les serpents de la terreur sifflent jour et nuit à leurs oreilles et les fassent trembler dans leur or et dans leur vie ; que leur position ne soit plus tenable et que, las de tant d’angoisses, ils soient forcés de tomber à genoux et de demander grâce, et de supplier le prolétariat de leur accorder la vie en échange de leur privilège et le bonheur commun en échange du malheur général » (p. 47).
 

★ Joseph Déjacque : Autour de la question révolutionnaire

Et n'espérez pas de meilleurs hommes, un choix plus heureux. Ce ne sont pas les hommes, c'est la chose en elle-même qui est mauvaise. Selon le milieu, la condition où ils se meuvent, les hommes sont utiles ou nuisibles à ceux qui les entourent.

Joseph Déjacque (in "A bas les chefs !" 1859)

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