Vous avez dit nouveau Front national ?
Du congrès de Tours (2011) au congrès de Lyon (2014), Marine Le Pen a pris la direction du FN et a affermi son autorité en s’appuyant sur une équipe qui lui est totalement dévouée (L. Aliot, F. Philippot, N. Bay, S. Briois…). Marine Le Pen a entrepris une politique de dédiabolisation (en opposition à son père), lissant son vocabulaire, voulant apparaître crédible et s’affirmant candidate à la gestion de la France : « je veux le pouvoir pour changer les choses (…). Rendre le pouvoir au peuple et redresser la France ». Le FN a toujours fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’opportunisme (tantôt libéral, tantôt étatiste…). Comme le déclare L .Aliot « le FN essaie de s’adapter aux réalités du terrain ». Sous la houlette de la nouvelle dirigeante du FN, le mouvement, sous l’étiquette FN-RBM (Rassemblement Bleu Marine) a enregistré un certain nombre de succès électoraux (municipaux, une dizaine de villes dirigées par le FN, européens, sénatoriaux, départementaux, même si le FN n’ a pas gagné de départements).
Même si la terminologie change, les fondamentaux restent. Ainsi « la préférence nationale » rebaptisée « priorité nationale » reste l’ ADN de la rhétorique frontiste et demeure « non négociable ». Dans les cortèges, on ne scande plus « la France aux Français » mais « On est chez nous ». Il ne s’agit plus, comme à l’époque de J-P. Stirbois de renvoyer « les immigrés d’au-delà de la Méditerranée dans leurs gourbis » mais « d’organiser le retour chez eux des immigrés du Tiers- Monde ». Dans les faits, on assiste plus à un habillage des fondamentaux qui apparaissent plus acceptables qu’à un réel revirement doctrinal.
En effet, que ce soit chez J-M. Le Pen ou chez sa fille, la France est assaillie par les quatre I : « immigration, insécurité, islamisme, imposition ». Marine Le Pen veut accentuer sa « fibre sociale » et s’adresser aux « invisibles et aux oubliés » (employés, précaires, ouvriers…) rejetés par « la caste politique UMPS ». Elle peut ainsi dénoncer, dans un élan national-populiste, les élites incapables et corrompues et d’en appeler, comme Charles Maurras « au pays réel contre le pays légal ». La présidente du FN entend s’occuper « des vraies questions, des vraies préoccupations des Français ». Elle veut donner au FN un rôle « d’éveilleur du peuple » et positionner le FN comme « le seul rempart face aux dangers qui menacent la France », le seul défenseur de l’identité nationale.
Le programme frontiste se veut national et social. Contre « le mondialisme superstar », il faut instaurer « un alter protectionnisme mesuré », un nationalisme pragmatique, un « produisons français avec des Français dans des entreprises française ». Elle est partisane d’un étatisme économique, tournant le dos au libéralisme prôné par son père. Elle s’autoproclame par ailleurs défenseur de la laïcité. En réalité, sa défense de la laïcité est une attaque en règle contre l’islam « une religion incompatible avec la laïcité et la démocratie ». Dans les années 70, l’ennemi n° 1 était le communisme , dans les années 80 l’immigré devient le bouc-émissaire, dans les années 2000 c’est l’islam, catalogué avec la mondialisation de « totalitarisme du 20ème siècle ». L’islam est un État dans l’État. L’islamophobie a remplacé dans le discours frontiste l’antisémitisme. En effet dans sa course à la respectabilité et dans sa stratégie de dédiabolisation, Marine Le Pen doit absolument se débarrasser des oripeaux de l’antisémitisme. Selon L. Aliot « la dédiabolisation du FN ne porte que sur l’antisémitisme. C’est la chose à faire sauter ». Cet objectif explique les tensions entre J-M. Le Pen (opposé à la stratégie de dédiabolisation), qui a multiplié les saillies antisémites qui ont provoqué la rupture avec la présidente et la suspension par le bureau exécutif du fondateur du FN. Pour Marine Le Pen, le FN, en France, est le « protecteur » de la communauté juive et « l’antisémitisme est de nos jours islamique ». En politique extérieure, elle condamne « l’interventionnisme mondialiste », l’OTAN, les interventions au Proche et au Moyen Orient (Irak, Libye). Les « Printemps arabes sont analysés comme de réels dangers pour la France et l’Europe, car porteurs d’ « une déferlante immigrés-musulmans » et d’ une poussée de l’islamisme radical au Proche et Moyen Orient et dans les pays du Maghreb et du terrorisme au niveau international. Marine Le Pen dénonce l’UE « agent de destruction de la nation » et « qui a mis la France sous tutelle » . Elle veut reconstruire « une Europe identitaire, autonome, solidaire face au danger islamique. Elle critique la politique internationale des USA, les futurs accords transatlantiques. Elle se rapproche de la Russie de V. Poutine qui est un adversaire du « Nouvel Ordre Mondial » et soutient la politique du Kremlin en Ukraine. L’ UE et les USA ont plongé « l’Ukraine dans le chaos Euro-Atlantiste ».
Le FN surfe sur les peurs qui taraudent la France : « mondialisation, chômage, islam, Europe ». Il s’inscrit en fait dans la dynamique des années Mégret : dédiabolisation, faire éclater la droite et satelliser l’UMP. Il a franchi une étape. D’un parti de protestation il est devenu un parti d’adhésion. Cependant, même s’il se drape des « vertus républicaines », de par son logiciel doctrinal il reste un parti d’extrême droite qui postule à se muer en un parti de gouvernement.
Jean-Paul Gautier est historien et s’apprête à publier « De Le Pen à Le Pen, continuités et ruptures », le 13 mai aux éditions Syllepse.
- SOURCE : Tant qu'il le faudra - 8 mai 2015
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