De Rosa Parks à Gandhi, le bus, terrain de la ségrégation ordinaire

Publié le par Socialisme libertaire

De Rosa Parks à Gandhi, le bus, terrain de la ségrégation ordinaire

La ségrégation raciale dans les transports en commun est devenue un symbole de la discrimination. Une option régulièrement envisagée par Israël.

Rétropédalage immédiat. A peine annoncé, le "projet pilote" visant à interdire les autobus des colons Israéliens aux Palestiniens de Cisjordanie, que le ministre de la Défense Moshé Yaalon souhaitait tester pendant trois mois, a été suspendu par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.

Cette mesure est réclamée par le lobby des colons de Cisjordanie occupée depuis des années, ces derniers ne souhaitant pas partager les bus qui les ramènent chez eux avec les Palestiniens qui travaillent en Israël et retournent en Cisjordanie chaque soir.

Selon le projet désiré par le ministre de la Défense, "les Palestiniens qui travaillent en Israël" auraient dû, "à partir de mercredi, revenir chez eux par le même point de passage sans prendre les autobus utilisés par les résidents de Judée-Samarie". Selon le ministre, ces dispositions devaient permettre de "mieux contrôler les Palestiniens qui entrent et qui sortent d'Israël et de réduire les dangers de sécurité".

Ce projet israélien n'est pas nouveau. Ainsi, en 2013, le ministère israélien des Transports avait annoncé la création de nouvelles lignes de bus, exclusivement réservées aux travailleurs palestiniens qui se rendent en Israël.

Officiellement, c'est le bien-être des Palestiniens qui était recherché, expliquait alors "Le Point" : "Le plan vise à faciliter le déplacement des passagers palestiniens et à leur offrir une solution face aux compagnies de bus pirates, qui leur soutirent des prix exorbitants", assurait la compagnie de bus israélienne Afikim. D'après le ministère israélien des Transports, des prix "spécialement bas" oscillant entre un et deux euros devaient leur être proposés.

Un bus réservé aux travailleurs palestiniens, en mars 2013 (Ariel Schalit/AP/SIPA).

Un bus réservé aux travailleurs palestiniens, en mars 2013 (Ariel Schalit/AP/SIPA).

Mais l'objectif était aussi, sous la pression des colons, de "désencombrer un réseau devenu surchargé pour les utilisateurs juifs" et de lutter "contre le risque sécuritaire posé par la présence d'utilisateurs arabes dans les bus empruntés par les colons", assure le quotidien israélien "Haaretz".

Déjà, à l'époque, plusieurs conducteurs de bus avaient affirmé au "Yedioth Aharonoth" que les passagers palestiniens qui refuseraient d'emprunter les nouveaux "bus palestiniens" seraient priés de quitter les bus dits "mixtes". Il est "interdit d'empêcher tout passager d'embarquer à bord d'une ligne publique de transport" en Israël, avait, de son côté, tenté de rassurer le gouvernement.

En octobre 2014, une mesure supplémentaire, révélée par "Haaretz", vient compliquer encore les déplacements des Palestiniens. Le ministre israélien de la Défense annonce que les Palestiniens travaillant en Israël devront "pointer" à un unique point de passage, celui d'Eyal près de Qalqiliya au nord de la Cisjordanie occupée. Jusqu'à cette date, ils devaient transiter via ce point de passage, uniquement à l'aller et pouvaient rentrer par un autre point de passage, et donc avec d'autres bus, y compris ceux des colons israéliens.

Une nouvelle fois, c'est l'argument sécuritaire qui est avancé. Mais il est balayé par le général Nitzan Alon, commandant de la Judée-Samarie (nom donné par les Israéliens au nord de la Cisjordanie occupée), cité par "Haaretz" :

Aujourd'hui, la mesure, annoncée rapidement par de nombreux médias internationaux, a suscité une très vive controverse. Dénoncée comme ségrégationniste, voire comme le symbole d'un nouvel apartheid, elle aurait potentiellement pu porter un coup redoutable à l'image d'Israël à l'étranger. Surtout qu'elle a été rendue publique - puis retoquée - le jour même de la visite de la chef de la diplomatie européenne. Un drôle de signal envoyé par le très droitier nouveau gouvernement israélien...

En effet, au cours de l'histoire, la ségrégation dans les transports en commun a toujours été symbolique d'une politique ouvertement raciste.


Le régime d'apartheid sud-africain

Lorsque que l'on pense "ségrégation raciale", dans les lieux publics en général et dans les transports en particulier, on pense évidemment à l'apartheid en Afrique du Sud. Officiellement aboli le 30 juin 1991, le régime d'apartheid (littéralement "développement séparé" en langue afrikaans) est en effet l'un des exemples les plus marquants d'une politique nationale de discrimination raciale.

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Jusqu'en 1991, le pays était régi par plusieurs lois ségrégationnistes, organisant la domination de la minorité blanche sur la majorité noire.

Comme le montre ce reportage des "Actualités Françaises", diffusé le 11 mars 1954, les noirs et les blancs vivaient ainsi séparément dans les lieux publics, comme le disposait le "Separate Amenities Act" de 1953, désiré par le gouvernement du docteur Daniel François Malan. Ils ne partagent pas les mêmes restaurants, les mêmes toilettes, ni les mêmes bus ou tramways.

Depuis 1948, le gouvernement sud-africain a mis en place une législation instaurant la ségrégation raciale. La séparation territoriale systématique entre les Blancs et les autres groupes ethniques du pays ne sera abolie qu'en 1991. Date de diffusion : 11 mars 1954 - Source : Collection Les Actualités Françaises

Si elle est devenue une politique d’État au 20e siècle, la ségrégation n'était pas nouvelle en Afrique du Sud. Ainsi, Gandhi, qui avait passé plusieurs années dans sa jeunesse en Afrique du Sud, assure que c'est après avoir été expulsé d'un train en 1893, car il s'était assis dans un compartiment réservé aux Blancs, qu'il a construit et développé son propre mode de contestation : la résistance passive et de la désobéissance civile.

A la station de Pietermaritzburg, trône maintenant une statue en bronze de Gandhi et une plaque qui rappelle la mésaventure du Mahatma : titulaire d'un billet de 1ère classe, on lui avait demandé d'aller dormir en 3e classe. Il avait refusé et s'était vu débarquer du train, à Pietermaritzburg, et obliger de passer la nuit dans la gare.

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Rosa Parks, "mère du mouvement des droits civiques" aux États-Unis

Autre personnage, autre symbole. Surnommée "mère du mouvement des droits civiques", Rosa Lee Parks est considérée comme la première figure de la lutte pour les droits civiques des noirs américains dans les années 1950.

Dans un bus de Montgomery dans l'Alabama, cette couturière, membre d'une association de lutte contre la discrimination raciale, s'était assise à une place réservée aux blancs et avait refusé de la céder à un homme blanc qui la réclamait. Sa témérité avait lancé le combat contre les lois ségrégationnistes américaines.

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Son arrestation et sa condamnation à payer une amende de 14 dollars avaient provoqué une campagne de boycott pendant 381 jours de la compagnie de bus organisée par un pasteur alors inconnu : Martin Luther-King. En novembre 1956, la Cour Suprême américaine déclarait la ségrégation anticonstitutionnelle.

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Rosa Parks est décédée le 24 octobre 2005, à l'âge de 92 ans. Mais il faudra encore attendre le 18 avril 2006, plusieurs mois après sa mort, pour que la Chambre des Représentants de l'Alabama réhabilite la militante en adoptant la "loi Rosa Parks". Une initiative qui a permis du même coup la réhabilitation de centaines d'activistes dont les casiers judiciaires étaient entachés par des "actes de désobéissance civile" perpétrés dans le cadre de leur lutte pour les droits civiques des noirs.

Le nazisme, paroxysme de la ségrégation

Avant que l'Allemagne nazie ne se lance dans l'un des pires génocides de l'histoire, elle a également mis en place une politique de ségrégation raciale particulièrement dure. Elle ne concernait pas uniquement les transports en commun, qui ont été interdits aux Juifs dans le Reich à partir de septembre 1941, mais toutes les composantes de la vie publique.

Outre le port obligatoire de l'étoile jaune, des décrets nazis imposaient par exemple aux Juifs des villes de résider dans certains quartiers, avant même la mise en place des ghettos.

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Une ségrégation poussée jusqu'à l'extermination.

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Les femmes, nouvelles victimes de la ségrégation

En parallèle de la séparation Israéliens - Palestiniens, Jérusalem est au cœur d'une autre polémique de "ségrégation" : celle dont sont victimes les femmes, dans certains quartiers ultra-orthodoxes de la ville trois fois sainte, où vivent les Haredim (littéralement les "Craignant Dieu").

Une règle tacite, mais parfois rappelée avec insistance par certains usagers, impose en effet depuis plusieurs années aux femmes de monter à l'arrière des bus dans ces quartiers. En témoigne le douloureux trajet en bus vécu par Tanya Rosenblit, cette jeune trentenaire Israélienne, en décembre 2011, insultée car assise juste derrière le conducteur "pour qu'il puisse [lui] dire où descendre".

Ces discriminations contre les femmes, particulièrement les laïques, sont régulièrement dénoncées par toute une partie de la société israélienne. Les jeunes et laïcs le plus souvent.

"Nous nous battons pour l'image de l’État d'Israël", avait promis, de son côté, l'ancienne Première ministre Tzipi Livni, quelques jours après la triste expérience de Tanya Rosenblit, rapidement surnommée la Rosa Parks israélienne.

Renaud Février


SOURCE : Le Nouvel Observateur - 20 mai 2015

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