★ De la nécessité de combattre l’islam politique (1ère partie)

Publié le par Socialisme libertaire

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« Les attentats de Paris dans les locaux de Charlie Hebdo, de Montrouge et de Vincennes ont entraîné une vague d’indignation non seulement en France, mais aussi dans beaucoup de pays du monde.

Des rassemblements spontanés se sont formés ici ou là pour se terminer par de grandes manifestations du 11 janvier 2015 partout en France, regroupant environ 4 millions de participants. Autant les rassemblements du 7 janvier, voyant jusqu’à 100 000 personnes en France dont 35 000 à Paris devaient être soutenus par leur caractère spontané, autant les manifestations du 11 janvier étaient récupérées par divers partis politiques et surtout l’État avec un cortège de chefs de gouvernements qui n’ont que faire de la liberté d’expression ou tout simplement des droits humains les plus élémentaires dans leurs propres pays.

Les événements de Paris ont déjà fait couler beaucoup d’encre, plusieurs centaines d’heures de débats y ont été consacrées aussi bien dans les médias dominants qu’alternatifs. Il y en aura certainement beaucoup d’autres prochainement. Souvent, on veut savoir si les musulmans en général et celles et ceux de France en particulier peuvent vivre avec les autres en respectant certains principes comme la laïcité, le droit au blasphème, etc., qui ont d’ailleurs été conquis par de longues luttes séculaires ou pas. énormément de questions sont posées sur la nature de l’islam pour savoir s’il peut être réformé ou actualisé, peut-on avoir un islam des Lumières demandent les uns, qu’est-ce qui est « islamophobe » ou ne l’est pas, interpellent les autres. Force est de constater que la question essentielle et primordiale n’est pas posée dans ces débats et échanges, bien que celles exprimées aient bien sûr leur place.

Les attentats de Paris, de Montrouge et de Vincennes ne sont pas seulement l’œuvre de trois délinquants musulmans qui se seraient radicalisés dans les prisons françaises ou qui aurait fait des voyages pour se former militairement dans des zones de conflits comme le Yémen. L’origine de ces actes doit être recherchée plus loin dans le temps (janvier 2015) et dans l’espace (prisons françaises et pays en conflits).

L’islam politique remonte à des périodes historiques très lointaines, jusqu’à la prophétie de Mahomet. Mais, dans cet article, nous nous limiterons à une époque beaucoup plus proche, qui a vu se former des États ouvertement islamiques, lesquels n’existaient pas auparavant.

L’islam politique et la formation des États islamiques contemporains sont surtout la résultante de contradictions importantes de deux superpuissances qui se battaient pendant de longues années pour contrôler le monde et mettre la main sur les richesses des pays que chacune avait sous son joug. Il s’agissait de l’Union soviétique et des États-Unis, sans oublier le rôle de leurs « alliés ». Les réalités historiques d’une quarantaine de dernières années montrent que l’islam politique s’est mis sur le devant de la scène internationale par deux coups d’État au Pakistan et en Afghanistan et une révolution essuyant un échec en Iran.

Nous sommes au Pakistan dans les années 1970. Ali Bhutto prend le pouvoir en 1972 suite à des élections démocratiques. Un an plus tard, une nouvelle Constitution est adoptée. Bhutto lance des nationalisations et une réforme agraire. Il interdit aux militaires d’avoir des postes décisionnaires politiques. Ce ne sont pas seulement les patrons des banques et des grandes entreprises nationalisées et des militaires qui s’opposent à Bhutto, c’est aussi les religieux qui n’acceptent pas le « socialisme » de celui-ci qui donnerai surtout, selon eux, trop de libertés aux femmes dans un pays musulman. Plusieurs partis se liguent contre Bhutto, mais il regagne en 1977 les deuxièmes élections du Pakistan. L’opposition conteste les résultats en déclenchant des émeutes. Finalement, le 5 juillet 1977, le général Zia Al Hagh impose la loi martiale au Pakistan. Deux ans plus tard, il interdit tous les partis et fait pendre, le 4 avril 1979, Ali Bhutto.

Le général Zia Al Hagh ne se contente pas de simples interdictions de partis politiques et de la pendaison de son prédécesseur laïc ; en s’appuyant sur les mollahs pakistanais, il impose les lois islamiques à la société en instaurant entre autres, la zakât (impôt islamique) et la charriah qui permet les châtiments publics comme les coups de fouet. Il interdit aux femmes d’apparaître tête nue à la télévision. Il instaure la peine de mort pour les blasphèmes contre Mahomet alors que jadis cela n’existait pas dans le droit pakistanais. Bref, il fonde la première république islamique de l’histoire, qui s’appelle encore de nos jours République islamique du Pakistan. Il ne s’arrêtera pas là. Quand, le 27 avril 1978, deux partis proches de l’Union soviétique instaurent une « république démocratique populaire » en Afghanistan par un autre coup d’État que les partis communistes prosoviétiques qualifiaient de « révolution », le général Zia Al Hagh prend le soin de transformer le Pakistan en base arrière de formation et d’armement de militants islamiques qui seront connus plus tard sous le nom de Taliban (étudiants en théologie islamique). Il ne sera pas seul dans cette tâche, l’argent saoudien, qatari et d’autres émirats du Golfe coulera à flot. L’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, qui commence le 24 décembre 1979, renforce la politique de soutien financier et militaire des Talibans.

Est-ce que le général Zia Al Hagh aurait pu réussir son coup d’État sans le soutien des pays occidentaux et en particulier les États-Unis ? Est-ce que les Talibans afghans auraient pu prendre le pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001 pour saigner encore plus les populations après tant d’années de guerre ? Une réponse claire est donnée en avril 2009 par Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, s’exprimant devant le sénat américain : « Nous avons en quelque sorte une histoire d’entrée et de sortie du Pakistan. Laissez nous rappeler que ceux contre qui nous menons une guerre aujourd’hui étaient payés par nous-mêmes. Nous les avons aidés, il y a trente ans, car à cette époque nous nous battions contre l’Union soviétique. Elle avait envahi l’Afghanistan. Nous ne voulions pas qu’elle contrôle toute l’Asie centrale. Nous avons conclu à cette époque-là qu’il fallait faire quelque chose. Le président Reagan et le Congrès à majorité démocrate se sont donné la main pour utiliser l’ISI [NDLR : les services secrets pakistanais], l’armée pakistanaise, les modjahédin [NDLR : ici les Talibans, mais littéralement ceux qui font le djihad] et l’Arabie saoudite et son islam wahhabi pour que nous puissions faire échec à l’Union soviétique. Les Russes ont perdu des milliards de dollars et l’Union soviétique s’est effondrée. Ce n’était donc pas un mauvais investissement… »

L’islam politique apparaît donc au Pakistan et en Afghanistan pour que les Américains puissent vaincre les Soviétiques. Mais il y a un autre événement majeur qui renforce l’islam politique presque au même moment, c’est la révolution iranienne qui commence en 1978 et aboutit un an plus tard par le renversement du régime du chah (roi en iranien) et met fin à plus de deux mille cinq cents ans de royauté en Iran. Ici l’interventionnisme des États occidentaux est beaucoup plus subtile, mais leur but est identique : renforcer l’islam politique contre les Soviétiques. De larges couches de populations descendent dans les rues partout en Iran. Le chah les réprime. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants sont morts. Le remplacement de plusieurs premiers ministres par le chah ne change rien. Les manifestations continuent par des millions de gens, surtout à Téhéran, qui compte jusqu’à 4 millions de participants à chaque fois. Les slogans sont restés longtemps pendant la révolution les mêmes : « Mort au Chah et vive la liberté. » Les manifestations ne suffisent pas. D’importants mouvements de grèves ouvrières sont déclenchés et le jour où la grève générale illimitée des ouvriers pétroliers commence, qui met fin à la principale source des revenus du pays, le chah lui-même sent sa fin. Il viendra dire qu’il a entendu la voix de la révolution. Il promettra aux journalistes étrangers que les libertés politiques seront aussi larges en Iran qu’en France. Mais plus personne ne le croit. Les gens dans les quartiers et les ouvriers dans les usines commencent à s’organiser dans les shoras ou les conseils. Ces conseils ont d’abord pris la forme des comités de grève dans les usines et ateliers. Les quartiers et usines apprennent à s’autogérer et subvenir à leurs besoins dans une situation de crise. Cela ne remplit toutefois pas un grand vide, celui d’une alternative politique après le renversement du régime du chah. Car ce dernier avait interdit tous partis et groupes politiques indépendants d’opposition, surtout après le coup d’État de 1953 fomenté par la CIA contre le gouvernement nationaliste de Mossadegh. L’opposition est très hétéroclite. Elle comprend aussi des mollahs et en particulier un ayatollah qui s’appelle Khomeiny, relégué en Irak par le chah en 1965 alors qu’il s’opposait à ses réformes agraires ou l’octroi du droit de vote aux femmes. Les mollahs surfent sur l’inexistence de groupes politiques organisés en proposant aux populations leur vaste réseau de lieux de culte, en particulier les mosquées. Les répressions sauvages de l’armée du chah s’arrêtent soudain avant même que le régime du chah soit renversé par une insurrection armée populaire qui n’a duré que deux jours, les 10 et 11 février 1979. Pourquoi les répressions militaires des manifestants s’arrêtent avant la fin définitive du régime du chah ? Que s’est-il passé ?

Le régime du chah était une véritable marionnette qui exécutait presque à la lettre les politiques occidentaux et surtout américaines en Iran et dans la région. Les tortionnaires de la Savak (la police politique) du chah étaient formés par leurs collègues israéliens. Les Américains utilisaient le chah, nationaliste comme tout bon roi, contre les autres pays de la région pour la plupart Arabes. Le chah était fier d’être le gendarme de la région. Il prenait un plaisir sans fin d’appeler l’Iran, « l’îlot de la stabilité ». Mais ni les Américains ni les autres pays occidentaux qui ont eu et ont toujours des intérêts économiques énormes dans cette région du monde ne soutiendraient sans condition leur pion au détriment de ceux-ci.

Le 8 janvier 1979, un mois avant le renversement du régime du chah, les agences de presse publient une dépêche sur une conférence qui a eu lieu en Guadeloupe. Jimmy Carter, président américain, James Callaghan, Premier ministre anglais, Helmut Schmidt, chancelier allemand, et Valéry Giscard d’Estaing, président français, étaient les convives de cette conférence. Ils devaient discuter des événements d’Iran, du Cambodge, d’Afrique du Sud, d’Afghanistan, de Turquie et de l’influence de l’Union soviétique dans le Golfe persique.

Jimmy Carter dira plus tard : « Je me suis aperçu que les trois autres dirigeants ne soutiennent plus le chah… ils disaient que le chah devrait partir le plus tôt possible. » Giscard d’Estaing dira aussi : « James Callaghan a fait une analyse réaliste de la situation en disant que le chah est fini. »

Deux jours avant la conférence de Guadeloupe, les Américains envoient un général, Robert Huyser. Il restera un mois en Iran mais ne rencontrera qu’une fois le chah. Le reste du temps, ils s’entretiendra avec les généraux de l’armée du chah pour les informer que, désormais, ils ne devaient plus réprimer les manifestants, sinon ils ne recevraient plus aucune pièce ni de munitions, sachant que toute l’armée du chah était formée et équipée par les Américains.

Pour sa part, Valéry Giscard d’Estaing avait envoyé Michel Poniatowski en Iran pour avoir une idée plus précise de la situation. Il a aussi un rapport que Sadegh Ghotbzadeh avait envoyé à l’Élysée. Ghotbzadeh était un proche collaborateur de Khomeiny. Ce dernier était bien d’accord pour que l’élysée reçoive le rapport. Ce rapport est envoyé une semaine avant la conférence de Guadeloupe et répond à une question de l’Élysée : en cas de victoire, quelles politiques choisira l’ayatollah Khomeiny ? Un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères français dira que Giscard d’Estaing était tellement content du rapport de Ghotbzadeh qu’il proposera à Carter de discuter immédiatement avec l’ayatollah Khomeiny.

Et le chah écrit lui-même dans ses mémoires : « Plusieurs semaines avant la conférence de Guadeloupe, l’on m’a mis la pression pour partir d’Iran… Je crois que la France et l’Allemagne ont accepté la proposition des États-Unis et de l’Angleterre pour que je sois expulsé d’Iran. La conférence de Guadeloupe était le “Yalta du Moyen-Orient” sans l’Union soviétique… » Pour une fois, le chah avait raison. Les principales puissances occidentales ont accéléré le processus de son départ en aidant les religieux islamiques prendre le pouvoir, car elles craignaient la radicalisation de la révolution et surtout la période postrévolutionnaire. Personne d’autre ne pouvait mieux étouffer la réalisation des revendications révolutionnaires que le clergé iranien ayant pris de fait le leadership du mouvement.

Ainsi la deuxième république islamique a été créée, et c’est elle qui existe aussi de nos jour : la République islamique d’Iran. Mais cette seconde république islamique ne sera pas comme la première, qui restera dans les limites que ses pourvoyeurs avaient tracées. Non seulement elle commencera à réprimer toute opposition sérieuse à son instauration, mais en plus elle décidera d’« exporter la révolution islamique » partout, selon les dires explicites de Khomeiny, pour former l’« oumma » islamique que l’on peut vaguement traduire par communauté des musulmans. Les mollahs iraniens iront encore plus loin et diront que l’Iran est « l’oumm al ghora » de tous les pays musulmans, c’est-à-dire la mère de tous les pays musulmans ! Khomeiny décrètera aussi que l’État d’Israël doit disparaître et cela non pas à cause du problème palestinien, mais surtout parce que, pour lui, Israël, un État confessionnel comme le sien, occupe la seconde Mecque des musulmans, qui est Jérusalem et sa fameuse mosquée. Toutes ces prétentions ne plaisent guère aux autre pays islamisés comme l’Arabie saoudite. Car l’Iran des mollahs est à forte majorité chiite, alors que les autres sont sunnites. Et pour le wahhabisme saoudien les chiites sont encore plus mécréants que tous les autres mécréants qui pourraient être les juifs ou les chrétiens.

La République islamique de Khomeiny, qui s’appuyait à ces débuts sur un soutien populaire assez fort, bien que par défaut, trace sa voie et va de l’avant. La guerre que déclenche Saddam Hussein en septembre 1980, pour durer pendant huit longues années, devient une occasion en or pour les mollahs pour stabiliser leur régime et d’étouffer sans peine toutes les revendications populaires postrévolutionnaires. Les prétentions des mollahs iraniens à former la « communauté des musulmans » en exportant la révolution islamique sont un véritable fer de lance pour réveiller toutes les forces réactionnaires de la région qui commencent à considérer l’islam comme un moyen qui pourrait changer les choses en leur faveur. Elles n’auront pas beaucoup de mal à recruter des masses considérables de militants qui ont été privées justement pendant des dizaines d’années d’instructions et d’éducation à cause des régimes politiques pourris jusqu’à la moelle. Des gens à qui les moyens d’acquérir une conscience politique moderne ont été refusés par des dictateurs comme les généraux pakistanais, les rois saoudiens, les émirs du Golfe et même des présidents de républiques comme Saddam Hussein en Irak, Assad en Syrie, Moubarak en Egypte, Ben Ali en Tunisie et Kadhafi en Libye. La raison politique pour laquelle les populations restent assez inertes quand les puissances « modernes » renversent leurs gouvernements pour certains de ces pays comme l’Afghanistan, l’Irak et la Libye à coup de bombes les plus sophistiqués ou remplacent leurs dictateurs pour d’autres comme en égypte est aussi à rechercher dans cette vérité de non-formation de conscience politique et de se fier aux forces les plus obscurantistes. L’on parle beaucoup de ces soi-disant jeunes musulmans qui rejoignent les groupes sanguinaires depuis les pays européens, mais l’armée de l’État islamique compte plusieurs dizaines de milliers d’autres qui y ont adhéré sur place.

Lorsque les États-Unis ont attaqué l’Irak en 2003, le seul État qui a profité le plus de la situation ne fut que la République islamique d’Iran. Elle a réussi à placer ses pions chiites au sein du « nouveau » gouvernement irakien qui, à son tour, a commencé à réprimer les populations sunnites. Car, pour ce gouvernement, comme en Iran, les chiites sont majoritaires et doivent décider de tout. L’Iran des mollahs a pu ainsi renforcer ses ambitions expansionnistes en Irak grâce à l’attaque et l’envahissement de ce pays par les États-Unis. Cela paraît paradoxal, mais c’est la réalité. Nader Teyf  »
 

  • SOURCE :

Groupe Henry-Poulaille de la Fédération anarchiste

★ De la nécessité de combattre l’islam politique (1ère partie)
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