★ L’alternative, c’est l’anarchisme
" L’anarchisme est une théorie révolutionnaire de lutte des classes. C’est une pratique au quotidien, qui conduit l’individu à lutter contre les injustices sociales et sociétales en s’organisant collectivement avec d’autres individus. Sur tous les lieux de vie, l’anarchisme est une méthode de lutte efficace, un outil d’éducation et de formation, donc également une éthique et une philosophie. Il s’agit d’abolir toutes les oppressions systémiques et les sous-oppressions qui en découlent : capitalisme, sexisme et racisme. La question des moyens et de leur rapport avec la fin est donc au centre de cet objectif et a été historiquement à l’origine des différentes tendances plus ou moins distinctes de l’anarchisme. Il en est une récente par sa forme et sa dangerosité qui plaît et traverse les tendances historiques : l’alternativisme.
« Alternatifs » et « alternatives »
Les partisans de cette tendance dans l’anarchisme défendent la construction ici et maintenant « d’alternatives autogestionnaires en actes » au capitalisme comme moyen de transformation sociale. Il s’agit de produire ces alternatives (Amap, boulangeries autogérées, centres sociaux, librairies et écoles « libertaires », etc.) localement puis de les fédérer pour construire au nez et à la barbe du système un contre-système qui prendra sa place. Cela présente un double intérêt : d’abord, il est possible de construire la nouvelle société tout de suite dans ces alternatives, ensuite, le fait d’y participer confère à l’alternatif un caractère révolutionnaire permanent vu qu’il est lui-même en rupture avec le vieux monde. Si la thèse des alternativistes est exacte, alors elle est révolutionnaire (sans ironie). Plus besoin d’organisations, de syndicats, de pratiques collectives de luttes pour l’émancipation. Il suffit d’exhorter les individus à s’alternativer dans les alternatives pour construire ensemble et par soi-même l’anarchie. La question de la rupture nette avec le capitalisme n’apparaît plus comme décisive. La répression du système est bien moins pesante car il se fera de toute façon enfumer par la fédération déterminée des alternatifs actifs. La révolution n’est plus à penser, à définir et à préparer vu qu’elle a déjà commencé dans le panier bio du mardi, l’atelier vélo du vendredi et la boxe ou la chorale autogérée du week-end. Plus besoin même de se dire anarchiste, on peut l’être sans le savoir par la pratique de son alternativité. C’est dans cette pensée que les alternativistes déduisent le « renouveau » de l’anarchisme qui aurait déjà débuté. On passe ainsi d’une lutte collective à de l’agitation individuelle et culturelle souvent pertinente mais pas au point de se substituer au militantisme volontariste.
Récupération ou répression : l’avenir des alternatives
Le souci sous-jacent au fait de voir les alternatives comme une fin en soi, c’est d’être totalement crédule quant à la capacité du capitalisme à neutraliser ces prémices de la nouvelle société. Dans nos sociétés plutôt libres sur le plan politique (du fait des luttes et des victoires passées), la première neutralisation et aussi la plus efficace, c’est la récupération. Elle n’est pas nouvelle mais redoutable, elle n’est pas frontale et, dans le cas de nos alternatives, elle est un désastre. Le fait que les collectivités puissent allouer des subventions à ces alternatives, les médiatiser et les aider sur d’autres plans, est le signe le plus incontestable qu’elles ne sont pas révolutionnaires. La conséquence de cette récupération, c’est d’abord, d’amoindrir jusqu’à couper les liens des alternatives avec les militants révolutionnaires, ensuite d’en faire une réalisation du capitalisme lui-même et donc de se faire aimer. Le système est parfaitement capable de s’adapter et d’utiliser la coopération, l’entraide, voire l’autogestion, quand cette méthode est jugée efficace par rapport aux bénéfices estimés. À l’inverse, quand les alternatives maintiennent un caractère para-étatique, la répression n’est jamais loin. Elle s’opère par la force parfois, par de la nuisance quotidienne de la part des institutions locales et donc affaiblit le lien social suscité et produit par l’alternative. Dans le premier cas, les alternatives finissent par toucher un public essentiellement bourgeois ou du haut prolétariat (ce qui est souvent le cas avant même la récupération), dans le second, le lien rompu avec les organisations politiques et les militants volontaristes ne permet souvent pas de résister à la répression.
Du rôle des bases arrières dans le soutien aux anarchistes
Ce qu’il nous faut effectivement construire et fédérer, ce sont des structures de soutien aux luttes sociales avant tout, et aux anarchistes dans ces luttes plus particulièrement. Ces bases arrières sont définies avant tout plus par leur subordination à la lutte des classes que par leur caractère spécifique. Leur rôle est double : soutenir en matériel et en propagande les luttes locales ou plus lointaines et afficher clairement une identité anarchiste (contrairement à bien des « alternatives autogestionnaires en actes ») dans une activité qui n’a pas vocation à le faire de prime abord (cela va d’une boulangerie à un cours de danse, peu importe). Selon leurs formes, les bases arrières peuvent aussi constituer des espaces d’organisation pour les prolétaires comme les bourses du travail qui ont joué un rôle majeur dans le syndicalisme français en apportant une structure à la base horizontale et interprofessionnelle par essence. Cependant aucune base arrière ne saurait se substituer au militantisme anarchiste et au syndicalisme. L’outil pour les luttes qu’elle représente n’a plus de sens sans la participation à ces luttes et un projet de rupture avec le capitalisme. Les bases arrières ne sont pas l’alternative mais font partie du projet alternatif, non pas tant comme élément précurseur d’une société nouvelle que comme une pièce de base du parcours graduel vers la révolution sociale. Que doivent dans ces structures être pratiqués les fonctionnements anarchistes, c’est une évidence. Que l’on appelle cela l’autogestion, soit, mais cette dernière reste contrainte par les règles du capitalisme dans lesquelles elle évolue. D’où l’intérêt et même la nécessité que ces bases arrières ne soient jamais détachées d’une organisation anarchiste, voire y soient fédérées. En outre, il nous faut être modeste, et ne pas se voir comme une structure hors pair. Le travail d’implantation locale des bases anarchistes ne peut se faire qu’en lien avec les éléments associatifs du secteur. Ne pas vouloir leur apprendre mais apprendre de leur pratique et de leur expérience pour y apporter la volonté révolutionnaire. Ce n’est qu’avec ce travail de liaison long et complexe que nous pouvons apparaître de plus en plus dans la vie des prolétaires et ainsi perfectionner, crédibiliser le projet de transformation sociale.
Maintenir nos fondamentaux pour maintenir le mouvement anarchiste
La raison de l’alternativisme est évidente. L’échec de plusieurs révolutions au XXe siècle, même lorsque les anarchistes étaient conséquents, la difficulté d’esquisser un projet alternatif et la faible importance numérique de notre mouvement remettent en cause pour bien des camarades l’idée même de la révolution, que l’on pourrait juger dépassée. Il est certain que notre période apporte des enjeux inédits et nous oblige à repenser un certain nombre de nos pratiques et de nos analyses. S’adapter à l’essor des nouvelles technologies, théoriser la place d’internet dans une société libertaire, redéfinir notre analyse de classe en admettant que la classe ouvrière n’est plus hégémonique au sein du prolétariat, c’est tant de chantiers qui peuvent nous plomber ou nous catalyser. Ces chantiers ont déjà commencé, l’alternativisme est une manifestation de ce processus en cours. Il ne peut mener qu’à un abandon des organisations, à une négation plus ou moins pensée de la lutte des classes et à la dissolution du mouvement anarchiste dans le capitalisme sans jamais le renverser. C’est un danger certain. Face à lui, il nous faut réaffirmer les fondamentaux de l’anarchisme : lutte des classes, volontarisme et la fin contenue dans les moyens. Construire les bases arrières nécessaires à la pérennisation du mouvement anarchiste pour devenir une minorité nombreuse capable de proposer une rupture dans les luttes sociales. Ne pas fantasmer la révolution mais la préparer en parcourant un chemin gradué d’étapes. Réaffirmer la nécessité de l’organisation anarchiste et de l’engagement syndical dans une perspective insurrectionnelle, sans surtout tomber dans des travers spontanéistes et incantatoires. "
Paul
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